Heilung + Zeal & Ardor @ Le Zénith - Paris (75) - 17 septembre 2024

Live Report | Heilung + Zeal & Ardor @ Le Zénith - Paris (75) - 17 septembre 2024

Pierre Sopor 18 septembre 2024

Heilung a dix ans. Le collectif nordic folk a connu une ascension fulgurante grâce à ses performances live, spectacles qui excluent d'emblée les petites salles. Heilung a grandi dans de grands espaces et se retrouvait sur la scène du Zénith de Paris le temps d'une soirée organisée par Veryshow. C'est un autre petit phénomène qui assurait la première partie : la troupe de metal avant-gardiste Zeal & Ardor, qui vient de sortir l'album GREIF (chronique) et dont la popularité continue de grimper. Pas mal comme programme, non ?

ZEAL & ARDOR

Le contraste avec la tête d'affiche est saisissant à plusieurs égards : avant les incantations atmosphériques de Heilung, il y avait les gros riffs énervés de Zeal & Ardor et son brassage à la fois ludique et fascinant de blues / gospel, de metal extrême et d'un tas d'autres choses (de la pop aux dissonances bruitistes, en passant par le stoner...). Mais c'est aussi avec son jeu de scène que Zeal & Ardor tranche radicalement : à part des capuches qui planquent les chevelures des musiciens dans les premiers instants du show, il n'y a aucune théâtralité, aucun costume, aucun maquillage. C'est sobre, authentique, sans fioriture, on vient pour jouer et le groupe n'a pas besoin de plus pour tout démolir. Cinq musiciens alignés comme des piquets et qui, pourtant, envoient un son d'une puissance rare : avec sa voix chaude et charismatique, Manuel Gagneux fédère et sa musique, accessible et rentre-dedans, a tout pour acquérir la foule à sa cause.

"Bonsoir Paris. On est Zeal & Ardor. On n'est pas bien avec discussion... alors musique !" baragouine le chanteur suisso-américain avant, plus tard, d'ajouter "On a encore deux morceaux alors on va faire ça sans commentaire" : Manu n'est pas venu causer, Manu est venu coller des tatanes. Sans fioritures, on vous a dit. Juste la ratatinade et encore la ratatinade. Les chœurs exaltés de Blood in the River ou l'ambiance sinistre de Ship on Fire datant de l'époque où les origines blues / gospel étant encore dominantes, la violence de Götterdämmerung, les touches prog de Kilonova ou encore l'irrésistible Death to the Holy : Zeal & Ardor nous attrape par les tripes, nous entraîne dans ses tourbillons de folie, nous secoue dans tous les sens avec ses variations acrobatiques de rythme. On souffle tout juste le temps de Devil is Fine, mélancolique hymne de rébellion d'une beauté toujours imparable avant de finir sur un enchaînement I Caught You / Clawing Out furieux. Zeal & Ardor, sans artifice, sans plus de mots qu'il n'en faut, n'a pas son pareil pour passer une salle à l'essoreuse. La puissance du groupe est intimidante mais en ouvrant sa musique à tant d'horizons, on s'y sent bien accueillis : c'était, une fois encore, aussi massif que jouissif.

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HEILUNG

Les concerts sont des rituels. Ce n'est pas nouveau : il y a tout un tas de codes à plus ou moins respecter. On s'habille pour l'occasion. On peut y ingérer des breuvages pour être plus réceptifs. On y retrouve les maîtres du culte le temps d'une performance... Mais Heilung pousse un peu plus loin le bouchon. Le show commence systématiquement dans la pénombre et le silence, un instant collectif de recueillement où, au milieu des froides lumières de quelques smartphones et des gens qui hurlent comme des loups, on entend les consignes : "chhhhhuuut, c'est le rituel !" ou "pas de photo pendant la cérémonie !". On ne déconne pas avec le sacré : il ne faudrait pas faire le mariole pendant les premiers instants de concerts de Heilung, la seule fantaisie acceptée est de crier "ahouuuuuuuuu" dans le noir. On est entre gens sérieux.

C'est parti : les nappes de synthés plantent l'atmosphère pendant qu'aux percussions on martèle inlassablement des rythmiques martiales et hypnotiques dès In Maidjan. On est d'ailleurs impressionnés par les cogneurs, discrets et dans les coins. Ils sont le cœur battant de Heilung, son ossature, et ils insufflent au show son énergie pendant plus de deux heures sans ne jamais faiblir. Le grand spectacle assume sa part de fantasme et c'est tant mieux : leur "histoire amplifiée" n'a pas pour objet d'être une reconstitution stricte et sévère (les synthés que possédaient les vikings au IXème siècle n'étaient pas aussi perfectionnés). Ainsi, le collectif a les coudées franches pour donner vie à ses visions esthétiques mais aussi raconter ses histoires, chaque titre étant l'occasion d'un tableau magnifique et d'une mise en scène narrative qui souvent installe une réelle poésie et même une forme de romantisme.

Un rituel est codifié et les concerts de Heilung n'échappent pas à la règle : tout est calculé, mesuré, comme sur des rails. Les fidèles, déjà initiés, le savent : les mantras en chant de gorge de Alfadhirhaiti sonnent l'arrivée des figurants en fond de scène, présence intimidante et belliqueuse alors que les voix de Kai Uwe Faust et Maria Franz, maîtres de cérémonies planqués sous leurs masques iconiques, se répondent. L'une, rugueuse, menace et psalmodie pendant que l'autre apporte douceur et contemplation. On en prend plein les yeux et les oreilles, les tableaux qui se succèdent sont sublimes et variés, les artistes sur scène incarnant à tour de rôle différents personnages... Mais dans cette performance rodée qui ne laisse aucune place aux imperfections, Heilung peut toujours laisser certains dubitatifs : pour une musique atmosphérique aussi organique, la représentation manque souvent de spontanéité et se coince la corne à boire entre deux chaises. Plus grand spectacle que concert où artistes et public se rencontrent réellement (on pense au Puy du Fou, voire à la parade de Disneyland - avec tout le respect qu'on leur doit - pour cette surenchère de costumes et de chorégraphies), le show ne laisse place qu'à un échange tacite que tous n'entendront pas. On est ébahis, certes, mais pas forcément surpris. On admire sans être forcément intégrés à la performance et les procédés, au bout de deux heures, finissent par se répéter (ce à quoi on peut également rétorquer que c'est dans la répétition que naît la transe).

Cependant, contre toute attente, les dimensions du Zénith ne nuisent pas à l'immersion, d'autant plus qu'il reste quelques places et que l'on y respire. Au contraire, en soignant les pauses entre les morceaux, nous laissant avec des samples évocateurs de nuits primitives et sauvages (c'est le moment de lâcher son plus beau "ahouuuuuuuuuu"), Heilung réussit à donner vie à son univers. Dans le noir, avec des morceaux comme le fascinant palindrome Tenet à l'obscurité immémoriale, ou les déclamations intemporelle de Krigsgaldr, on finit par y croire. La proposition est unique et la musique d'une vraie richesse, au-delà de ces tambours crâneurs qui ont parfois la subtilité d'un gros blockbuster. Heilung séduit ses hordes d'adeptes, conquis d'avance, le temps d'un show époustouflant qui réussit parfois à donner l'impression d'un instant en tête à tête partagé au coin du feu dans les ténèbres d'un passé onirique. Surtout, pour peu que l'on adhère à la proposition, le spectacle est d'une vraie générosité, long, varié et ambitieux, on ne peut pas les accuser de nous filouter ! Alors, coup marketing génial ou rituel cathartique sincère ? Artistes qui mettent à nu leur âme sur scène ou mettent leur excellent savoir-faire au service d'un plan bien rodé ? A l'issue de la cérémonie de clôture, en retrouvant l'air moderne de la Porte de Pantin et en revenant peu à peu à la réalité, on conclura finalement "et pourquoi pas les deux ?".

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