Ce n'était pas la première fois que Hexvessel jouait en France, ni même à Paris : il y avait eu un passage au festival l'Homme Sauvage en 2018 et une tournée passant par le Divan du Monde en 2014 en compagnie de... Alcest (ils ont bien grandi depuis, eh bien, vous n'avez pas rajeuni non plus). Néanmoins, la venue du projet folk psychédélique de Mat McNerney (également chanteur chez Grave Pleasures), qui mutait avec le récent Polar Veil (chronique) vers de froides contrées plus doom et extrêmes, reste une rareté. En arrivant au Backstage by the Mill, on pense d'ailleurs à un autre britannique nommé Matt (Howden celui-là, et son projet Sieben), plus confidentiel, qui jouait à Paris la semaine dernière pour la première fois depuis 17 ans : les longues absences n'aident pas toujours à attirer le public en masse et, avec la concurrence de The Old Dead Tree qui jouait à la Maroquinerie en même temps, Hexvessel n'est pas franchement sold out. Remercions alors Garmonbozia pour la tenue de cette soirée unique, en espérant que cela ne compromette pas les chances de revoir le groupe en France dans la décennie à venir...
SUM OF R
Avant d'errer dans les froides nuits polaires de Hexvessel, Sum of R nous mettait dans l'ambiance. Le trio mené par le bassiste suisse Reto Mäder n'a jamais vraiment su tenir dans un tiroir trop étriqué : doom, noise, drone... La musique, autrefois instrumentale, a désormais des paroles depuis l'arrivée de Marko Neuman en 2019 et l'album Lahbryce sorti en 2022, que Mäder considère d'ailleurs comme un nouveau départ pour son projet autrefois solo.
La voix n'est finalement qu'un calque de plus qui se greffe à la formule hypnotique du groupe, où les boucles se répètent jusqu'à la transe, mutant du grognement abyssal à la lamentation au point que l'on se demande combien d'êtres vivent en fait dans le corps de ce Marko Neuman. C'est lourd, c'est sombre : ils ont toute notre attention. Le chanteur, avec son look quasi grunge, se planque derrière sa tignasse et se retrouve régulièrement prostré au sol alors que, dans l'assemblée, une rumeur se propage : il y aurait peut-être même un batteur, là, dans les ombres et l'épaisse fumée. S'il faut le voir pour le croire, alors nous gardons quelques doutes, bien que la bête se faisait très clairement entendre !
Côté setlist, Sum of R déstabilise : à part Borderline et Hymn for the Formless, nous n'avons eu droit qu'à des nouveautés. Les morceaux sont cependant assez longs pour nous laisser le temps de les apprivoiser (à moins qu'on ne finisse tout simplement piégé par ces riffs rampants et ces nappes de synthés hallucinées) au point qu'ils deviennent finalement familiers. Rituel psychédélique, funérailles cathartiques, menaces empoisonnées... Sum of R est un peu tout ça à la fois et abolit les réalités. Fascinant en live, le groupe nous a donné un bien bel aperçu des incantations à venir... vivement !
HEXVESSEL
La mutation de Hexvessel s'apprécie dès l'entrée sur scène du groupe : adieu les bretelles et le petit chapeau sympa, McNerney et ses camarades ont des airs de moines maudits ou de goules déprimées. Toges noires, visages blafards : les influences black metal, toujours déterminantes chez le chanteur sont désormais assumées chez Hexvessel. On leur doit la froideur, le brouillard épais que les guitares font tomber sur le Backstage by the Mill, mais aussi ce parfum de grands espaces sauvages et mystérieux.
Dark folk, doom, black metal : Hexvessel réussit son alchimie et, plutôt que de passer de l'un à l'autre, mélange tous ces ingrédients dans son chaudron pour proposer un son personnel assez inédit, certes épais et oppressant mais également aéré et indompté. La plus grande force du groupe reste la voix de son chanteur, Mat McNerney impose un silence respectueux. On est venus écouter attentivement ce conteur sinistre et ses complaintes tantôt rêveuses, tantôt exaltées. Lui est monolithique sur scène, laissant à ses musiciens les futilités telles que "avoir l'air vivant" ou "remuer plus que le strict nécessaire". L'ambiance cérémonieuse est celle d'une veillée funèbre et vous nous connaissez : quand on dit ça, c'est avec des étoiles dans les yeux. On se laisse alors transporter bien volontairement dans par cette inquiétante société de spectres, pour reprendre un des titres de Grave Pleasures.
La setlist est presque intégralement consacrée à Polar Veil, à l'exception de Black Mountain Poet qui annonçait pourtant à l'époque l'arrivée de cet album, de deux titres récents annonciateurs des joyeusetés à venir (Under the Lake et Spirit Masked Wolf), de la reprise d'Halloween des Misfits que la saison impose et de Phaedra, magnifique rescapée de Kindred dont la pesanteur et la puissance hypnotique ont le bon goût de parfaitement se fondre dans l'ambiance. Mystique, lugubre et poétique, la performance emprunte à la fois à la lenteur menaçante du grand guignol et aux mythes ancestraux intemporels. Aux légendes qu'évoque McNerney, anglais et irlandais d'origine mais vivant en Finlande depuis plusieurs années, nous revenons à nouveau sur la plus insaisissable d'entre elles : le batteur, que l'on croit parfois apercevoir. Certains murmurent qu'il existe bel et bien, on l'entend d'ailleurs très bien, mais pour ce qui est d'en distinguer les contours dans la fumée, c'est une toute autre affaire. Alors que les cryptozoologistes débattent encore de son existence, nous apprenons qu'il s'agit de Jukka Rämänen, également derrière les fûts de Sum of R... Tiens, tiens, voilà un animal bien insaisissable !
Si la salle n'est pas pleine, l'assemblée réunie est captivée. Hexvessel est un noir secret que l'on protège farouchement, là, à l’abri des lumières tapageuses et de l'agitation de la place Pigalle. Les Finlandais ont imposé leur temporalité, leur cérémoniel. On en ressort la tête pleine de ténèbres et d'images évocatrices de ces sombres histoires que l'on se raconte au coin du feu en des contrées recouvertes de neige et de nuit.