Celle-là, on l'a attendu : initialement prévue au printemps dernier, la venue d'Hypno5e à Paris avait finalement été reportée à cet automne. Tout le monde a donc bien eu le temps d'apprivoiser le dernier album du groupe, l'impressionnant Sheol (chronique)... ou de les découvrir au cours des festivals de l'été pour venir les revoir en salles ! Il y a en tout cas du monde, ce qui donne raison à The Link Productions pour le contretemps... On note également une tendance chez Hypno5e : au Motocultor, ils ont joué alors qu'il tombait des trombes d'eau au milieu d'un week-end ensoleillé et là, à Paris, de lourdes averses avaient rafraichi l'air entre deux journées d'une chaleur étouffante : le groupe sait plier la météo à sa volonté pour que les éléments se prêtent à leur musique, le clip de Sheol Part II l'avait déjà prouvé ! Mais avant de nous replonger dans les tourments de leur post-metal avant-gardiste poétique, nous avons découvert CKRAFT.
CKRAFT
Avec un premier album sorti il y a environ un an, CKRAFT est actuellement en train de se frayer un chemin sur les scènes metal hexagonales (ils jouaient notamment en première partie de Shining trois jours plus tôt). La proposition est singulière et uniquement instrumentale : CKRAFT mélange metal, jazz et mélodies médiévales. Il y a un accordéon et un saxophone sur scène, ça promet... et effectivement, CKRAFT n'est pas vraiment du genre convenu et prévisible. C'est lourd, surprenant, inattendu et assez fou dans les prises de liberté et les associations (il y a parfois ce petit côté Meshuggah en roue libre). Le groupe assume aussi un certain goût pour la dissonance qui, il faut bien l'admettre, peut aussi perdre les non-initiés. On se retrouve à penser à David Lynch mais qui ferait dans l'épique... On est parfois un peu largués par ce côté qui semble cérébral aux profanes alors, probablement par paresse, on se raccroche à ce que l'on comprend plus facilement et qui nous rassure : la double-pédale, les gros riffs, la lourdeur... mais aussi l'électronique qui apporte un vrai plus à l'ensemble. CKRAFT fait preuve d'une vraie rigueur musicale : l'étiquette "jazz" n'est pas un simple gimmick paresseux pour faire arty qui viendrait se greffer ici ou là aux morceaux, non, on est bien face à une déconstruction permanente et sans frime. Le groupe ne nous étouffe ni avec des postures artificielles ni des représentations techniques prétentieuses, on peut alors apprécier le plaisir que semble prendre cette bande de musiciens à jouer avec les sons, donnant parfois l'impression d'improviser. Finalement, la liberté, c'est aussi celle parfois de s'enfuir en avant quitte à en laisser certains trainer un peu derrière.
HYPNO5E
Pendant l'été, Hypno5e a traîné sa mélancolie et ses tempêtes du côté des gros festivals metal... On était très contents de les y retrouver, mais les scènes immenses en plein jour ne sont pas vraiment les meilleures conditions pour s'immerger pleinement dans l'univers plein de fantômes du quatuor mené par Emmanuel Jessua. Se retrouver là, collés à la scène assez basse du Trabendo, dans le noir et la fumée alors que retentissent les samples ouvrant Sheol, c'est tout de suite autre chose. L'anticipation du chaos à venir en décuple l'impact : quand Hypno5e se déchaîne, c'est un ouragan de lourdeur et de rage d'une intensité rare. On est pris aux tripes, là, sous des stroboscopes agressifs, pas loin de ces types sur la scène qui offrent tellement à leur public. Si la musique d'Hypno5e affectionne les clairs-obscurs, visuellement on est plus dans l'obscur-obscur... tant mieux, c'est immersif et on n'a pas d'autre choix que de se faire embarquer, trimballer, ratatiner ou d'errer avec eux. Dans la pénombre, Hypno5e crée un espace propice à l'évasion et aux rêveries le temps de longues accalmies tout en élégance et en poésie, puis, brutalement, agrippe son audience pour de nouveau la chambouler dans tous les sens. Notre esprit vogue parfois vers des rives mystérieuses et l'on vient à se demander quand est-ce qu'on enfermera pour toujours le demeuré qui gueule "à poil" (sûrement le même gars lourd à chaque concert) ou bien à quoi ressemblent les placards d'Emmanuel Jessua dont on commence à reconnaître le même tee-shirt à chaque fois (voilà, c'est malin, maintenant s'il en change un jour, on en aura la nostalgie).
Si à la sortie de Sheol on pouvait avoir aux premières écoutes l'impression qu'Hypno5e n'y proposait qu'une "simple" suite à ses précédentes œuvres, l'évolution est pourtant flagrante et prend tout son sens en live grâce notamment à l'implication de Pierre Rettien à la batterie et Charles Villanueva à la basse : Hypno5e a gagné en spontanéité, en humanité et est plus organique que jamais. La connexion entre les artistes et leur audience n'en est que plus forte (les écrans ont d'ailleurs disparu). Le set est rodé, avec ses étapes obligatoires comme Tio interprétée par Jessua seul sur scène avant les rappels, l'occasion pour lui de prolonger l'émotion des hurlements écorchés qui concluaient juste avant Tauca Part II, tétanisants, et de les faire muter en un pansement doux-amer. C'était encore une fois puissant et superbe. On espère retrouver Hypno5e très vite sur scène : non seulement on veut des nouvelles du tee-shirt de Jessua, mais surtout on tient visiblement avec eux une solution à la sécheresse.