Igorrr + Amenra + Der Weg Einer Freiheit + Hangman's Chair @ Salle Pleyel - Paris (75) - 23 mars 2023

Live Report | Igorrr + Amenra + Der Weg Einer Freiheit + Hangman's Chair @ Salle Pleyel - Paris (75) - 23 mars 2023

Pierre Sopor 27 mars 2023 Pierre Sopor

On connaît Igorrr et ses tournées à rallonge, mais celle-ci fait particulièrement forte impression : une trentaine de dates à travers l'Europe et, surtout, une affiche aussi incroyable que surprenante. Associer à l'univers décalé du projet de Gautier Serre le rituel cathartique d'Amenra, la mélancolie étouffante de Hangman's Chair et le black metal de Der Weg Einer Freiheit, il fallait oser. Le casting donne le vertige et la date parisienne avait lieu dans la très chic Salle Pleyel, à deux pas des Champs Elysées. Même si Opeth ou Leprous y sont passés récemment, on n'a pas franchement l'habitude d'y entendre ce genre de musiques et The Link Productions, organisateur de ce qui restera comme une des plus belles affiches metal de l'année, a vu les choses en grand. La fosse paraît cependant bien étroite par rapport aux gradins !

HANGMAN'S CHAIR

Pour faire tenir quatre groupes en une soirée, il vaut mieux ne pas traîner et Hangman's Chair attaque son set alors que la salle se remplit tranquillement. On est assez surpris de les retrouver si tôt, vue la popularité gagnée par le quatuor ces dernières années et tout particulièrement depuis A Loner sorti l'an dernier et qui a fait l'unanimité (chronique) : leur mélange entre coldwave, doom et stoner est aussi unique qu'efficace. On peut supposer que leur renommée n'a pas encore passé les frontières du territoire français, justifiant ce petit set d'une demi heure. Cela suffit néanmoins pour apprécier la froideur et la mélancolie de la musique, menée par les coups de batterie de Mehdi Thépegnier, sans esbroufe technique mais avec une tonne de réverbération qui tape direct dans les tripes. On s'amuse toujours autant du décalage entre l'angoisse qui suinte des compos du groupe et le charisme des musiciens sur scène... Julien Rour Chanut et Clément Hanvic, à la guitare et à la basse, roulent des mécaniques et font le show. Même le chanteur Cédric Toufouti, souvent très discret, semble moins en retrait et plus rageur que d'habitude. Le set est court, on va à l'essentiel : on entre dans cet univers fait de béton, d'horizons brisés et de désespoir via la bien nommée An Ode to Breakdown et on enchaîne les hits (Cold & Distant, Naive, Sleep Juice...). Hangman's Chair, c'est la tristesse poisseuse tout en lourdeur mais avec la grande classe et, surtout, sans aucun doute l'un des deux ou trois groupes les plus passionnants de la scène metal française actuelle, grâce notamment à une approche profondément personnelle, ancrée dans le réel, à la fois riche et accessible.

Setlist :
An Ode to Breakdown
Cold & Distant
Who Wants to Die Old
Loner
Sleep Juice
Naive

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DER WEG EINER FREIHEIT

Changement d'ambiance avec l'arrivée de Der Weg Einer Freiheit. Le vague à l'âme est remplacé par la frénésie du black metal atmosphérique du groupe allemand. Comme le genre l'exige souvent, on se mange des tonnes de strob dans les mirettes, mais on apprécie aussi la présence des musiciens. En toute simplicité, Der Weg Einer Freiheit, sans surjeu, sans grimaces grotesques, sans maquillage, dégage une forme d'authenticité et de modestie assez touchantes. C'est rare dans le black, ça ne fait peut-être pas super "cool kids mega d4rk", mais on apprécie ce contraste entre la froideur implacable de la musique et la bienveillance qui se dégage des artistes. Côté setlist, nos sensibilités gothiques auraient peut-être aimé entendre un peu plus la facette plus atmosphérique du groupe : malgré la mélancolie de Aufbruch en fin de set, on est surpris de n'entendre que deux titres de Noktvrn, leur dernier album en date. Même si Am Rande Der Dunkelheit et surtout Morgen contiennent leur lot de brouillards hantés et de mélodies spectrales, on aurait adoré entendre Immortal (même sans Dávid Makó en guest), Gegen das Licht ou Haven, histoire de respirer un peu d'air frais nocturne dans une salle Pleyel de plus en plus irrespirable. Peut-être avec un set plus long, une prochaine fois... En attendant, on leur a trouvé quelque chose de touchant à ces quatre là, qui ont bien mérité leur accueil chaleureux (le chanteur Nikita Kamprad rappelait que leur premier concert à Paris était au Klub... c'est sûr que Pleyel, c'est une autre affaire !).

Setlist :
Morgen
Repulsion
Am Rande der Dunkelheit
Einkehr
Aufbruch

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AMENRA

Si jusque là l'ambiance ne prêtait pas franchement à la rigolade, l'arrivée d'Amenra éteint pour de bon les derniers sourires. Le rituel des flamands est rôdé : dans l'obscurité, devant un écran diffusant des images en noir et blanc mystérieuses et poétiques et entourés d'une fumée particulièrement épaisse, les musiciens prennent place sur scène. Les visages sont fermés. On ne cause pas, on ne sourit pas, on ose à peine respirer. Le chanteur Colin H. van Eeckhout, dos au public la plupart du temps, se contorsionne dans les ténèbres et y hurle toute sa souffrance comme un écorché. Il retire petit à petit les couches, mais quand le sweat shirt et le t-shirt ne sont plus là, on le voit souffler, cracher, hurler et se griffer comme si sa peau, encore, devait elle aussi partir. Tétanisé, écrasé par des riffs monolithiques et l'impact émotionnel hors du commun de la prestation, le public ne peut que participer en silence à cette grande messe de la douleur, où la noirceur abyssale côtoie quelques rares éclaircies lors des accalmies (A Solitary Reign et son côté Tool possédé, Plus Près de Toi) . Un concert d'Amenra est une expérience particulière plus proche du rite sacré et de l'exorcisme que du spectacle. Plongé dans le noir, on est happés par cette abîme, la violence des émotions mais aussi la beauté qui s'en dégage quand toute cette peine, toute cette rage, toute cette affliction est sublimée par la musique. On ne peut pas s'empêcher, une nouvelle fois, de se dire que le running order aurait tout à fait pu être chamboulé ce soir : Amenra avait tout d'une tête d'affiche, en témoignait la fréquentation de la fosse d'une densité étouffante... et surtout, on imagine mal quel groupe peut passer après une performance aussi totale, poignante et écrasante.

Setlist :
Razoreater
De Evenmens
Plus Près de Toi
Am Kreuz
A Solitary Reign
Diaken

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IGORRR

C'est donc encore retournés par l'incroyable set d'Amenra, duquel on ne peut pas sortir en quelques minutes, que l'on assiste au concert d'Igorrr. Ici, on est très fans d'Igorrr, dont on suit la folie créative depuis ses premiers pas sur MySpace et que nous avons vu devenir l’irrésistible mastodonte scénique qu'il est aujourd'hui... Mais malgré tout notre amour pour le projet de Gautier Serre, on se sent comme tenus à distance. Difficile de savoir exactement pourquoi, mais on n'est pas retournés comme d'habitude (leur dernier passage à Paris, au Trianon, était magnifique). Il y a bien sûr encore les ombres d'Amenra qui nous empêchent de pleinement apprécier ce mélange de metal, de musiques du monde, d'opéra baroque, de bal musette et de sonorités 8 bits un poil trop rigolard (même si certains y apprécieront l'atmosphère plus solaire), ou peut-être les dimensions de la scène... On découvrait aussi Marthe Alexandre, la "nouvelle nouvelle" chanteuse, venue remplacer l'incroyable Aphrodite Patoulidou qui avait réussi l'impossible en prenant la place de la toute aussi incroyable Laure Le Prunenec. Dans un registre plus retenu et plus grave, elle semble tiraillée entre sa propre personnalité et l'ombre de ses prédécesseures...

La prestation dégage une forme de schizophrénie, entre une plus grande froideur, moins de folie mais aussi la volonté de faire "comme avant" : on ne peut que souhaiter à Igorrr d'enfin trouver la stabilité nécessaire pour aborder sereinement la suite avec un line-up fixe et on se doute bien que quand tout ce beau monde aura pu faire un album ensemble, chacun y trouvera enfin sa place. En attendant, malgré l'efficacité du patchwork musical, malgré une fosse (moins remplie) qui peut enfin laisser exploser toute sa tension, malgré l'énergie de Gautier Serre en maître de cérémonie, malgré le charisme sinistre de JB Le Bail et sa présence à la fois pesante et fantomatique, malgré le talent de chaque artiste sur scène, la sauce n'est pas aussi épicée et on peine même à reconnaître le punch de certains morceaux, comme ieuD. Après avoir été phénoménal sur scène en proposant un show théâtral à la fois fou, décalé et poétique, Igorrr nous avait laissés sur des performances un peu étranges en festival l'été dernier (un Hellfest amputé de 15 minutes, un Motocultor sans chanteuse) et semble encore se chercher. Dans ce contexte, on peut néanmoins apprécier l'habituelle générosité de la troupe, son envie de faire vivre ce projet hors du commun sur scène avec passion et perfectionnisme en enchaînant les indispensables hits où se mélangent violence et grâce (Tout Petit Moineau, ieuD, Himalaya Massive Ritual, Opus Brain...), les gros trucs bourrins qui font du bruit (Viande, Robert) et les étrangetés plus légères (Cheval). La performance est de qualité et on y assiste bien sûr avec plaisir mais on est loin des sommets atteints par le passé. Il faudra faire preuve d'un peu de confiance et de patience : depuis deux ans et le départ de Laure Le Prunenec et Laurent Lunoir, Igorrr enchaîne les couacs mais finira bien par redevenir ce monstre incroyable d'une beauté difforme sidérante. Muter, ça prend du temps.

Setlist :
Intro (« 8-bit style » Paranoid Bulldozer Italiano)
Paranoid Bulldozer Italiano
Spaghetti Forever
Hollow Tree
Nervous Waltz
Downgrade Desert
Camel Dancefloor
Tout petit moineau
ieuD
Parpaing
Polyphonic Rust
Overweight Poesy
Viande
Opus Brain
Himalaya Massive Ritual
Cheval
Apopathodiaphulatophobie
Robert
Very Noise
Outro (Chopin - Funeral March)

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