Imperial Triumphant  + Limbes @ Petit Bain - Paris (75) - 14 août 2024

Live Report | Imperial Triumphant + Limbes @ Petit Bain - Paris (75) - 14 août 2024

Pierre Sopor 16 août 2024 Maxine & Pierre Sopor

La météo se faisant un petit peu plus clémente en cette soirée d'été, nous avons plaisamment affronter les derniers rayons du soleil de la journée pour aller se réfugier dans l'antre de Petit Bain pour un événement qui nous promettait un avant-goût de cette touche ténébreuse hivernale, et pour l'instant trop lointaine, que l'on aime tant. Les New-Yorkais d'Imperial Triumphant venait célébrer leur univers singulier et, grâce à une belle inspiration des organisateurs Cerbère Coryphée et Dead Pig Booking, Limbes assurait la première partie.

LIMBES

Le bal s'ouvre donc avec Limbes, projet de black métal de Guillaume Galaup, qui vient présenter ses dernières créations atmosphériques à un public curieux et attentif devant les premiers cris francs (et sans micro) de l'artiste qui déchirent l'air environnant dès les premières notes. Si le dernier opus sorti, Liernes (chronique), est d'une teinte plus pastel car moins angoissé que les précédents, cela se ressent en live au travers de nappes prenant des allures presque mystiques sur scène, qui viennent contraster avec un chant viscéral plus terre à terre et douloureux, porté par un élancement de guitare qui donne de la profondeur à ce tableau sonore.

La sobriété de la scénographie ainsi que des lumières, caractérisées par des halos et traits évanescents de couleur blanche sur un fond noir légèrement bleuté, aux contours presque flous, permet à l'auditeur de créer ses propres nuances et de fondre une touche toute personnelle à celle de l'artiste dans l'interprétation de l’œuvre jouée, créant un moment intensément unique. Pour seule coquetterie, le musicien, qui dans sa solitude sur scène et son absence d'artifices ne peut ni se cacher ni détourner les regards, entretient son atmosphère mystérieuse et intime à l'aide des volutes de fumée qu'il extirpe de sa vapoteuse entre les morceaux. Malgré une performance toute en retenue jouxtant une froideur nécessaire à cet instant, une grâce s'en détache et l'on retient beaucoup de générosité quand le set s'achève, bien trop vite d'ailleurs, tant le concert fut beau.

IMPERIAL TRIUMPHANT

On ne va pas vous le cacher : étant passé jusque là à côté des apparitions sur scène d'Imperial Triumphant, on avait quelques doutes. Entre le mélange avant-gardiste de freejazz et de black metal (pour faire simple) et leurs fameux masques, on craignait un set chiant et impersonnel où aucun échange n'est possible et qui aurait semblé bien tiède après avoir vu Limbes s'écorcher les cordes vocales pour mieux peler nos âmes. Tu parles !

Imperial Triumphant fêtait la ressortie de son album Vile Luxury (2018) et y consacrait l'essentiel du set. Le trio mené par Zachary Ezrin, seul membre d'origine encore présent, évite tous les pièges du "groupe un peu intello qui joue planqué derrière un costume" et fait preuve d'une énergie communicative. Malgré les masques, on les découvre particulièrement expressifs et impliqués, apportant souvent à la performance une touche décalée savoureuse : il y a les santiags d'Ezrin, la basse lumineuse de ce diable de Steve Blanco qui descend dans la fosse prendre son bain de foule, des jets de champagne et des mimiques que l'on devine derrière les masques. Imperial Triumphant est ludique : chez eux, l'expérimentation est un jeu et n'a pas cette image austère et pompeuse, malgré la saveur sinistre de la musique.

On se laisse aussi prendre par l'univers : il y a les tenues, sorties directement du Metropolis de Fritz Lang ou encore cette arrivée sur scène sur les notes théâtrales et funèbres du thème d'Orange Mécanique composé par Wendy Carlos. Imperial Triumphant ressuscite cette New York fantasmée du siècle dernier, folle et clinquante pleine des espoirs des vagues d'immigrants, des lumières de Broadway mais aussi de ses recoins plus sombres et corrompus (pensez donc à Gotham City de Batman, version série animée de 1992). Mais, et la musique, alors ? Eh bien il y a là de quoi faire fuir les non-initiés, sans aucun doute ! Bien que les cuivres débridés s'entendaient moins en live, Imperial Triumphant ne fait ni dans l'accueillant, ni dans le rassurant. C'est opaque, dissonant, cacophonique, monolithique, les rythmes ne s'assimilent pas aisément et les mélodies prennent un malin plaisir à nous esquiver et à muter, à l'image de la valse déglinguée de Gotham Luxe ou de la pesanteur fiévreuse d'Atomic Age qui meurt en un final feutré idéal pour quitter la scène à petits pas discrets.

Comme on pouvait s'en douter, Imperial Triumphant est une expérience insolite et unique en son genre. De là à dire qu'on ressort sous le charme ? Bonne question. On se doute que leur succès grandissant ces dernières années doit au moins autant à leur univers et leur show théâtral qu'à la musique, certes fascinante, mais à laquelle on n'a pas compris grand chose (on ne va pas se la péter plus que ça, ce soir). Il faut en tout cas à tout prix le voir pour le croire, le voir pour savoir... espérons donc que la fréquentation, honorable pour un mois d'août mais pas non plus délirante (le début du Motocultor s'ajoutant au calme estival) ne sera pas un frein à un prochain passage hors festival.