JE T'AIME + Denuit @ Point Éphémère - Paris (75) - 24 janvier 2025

Live Report | JE T'AIME + Denuit @ Point Éphémère - Paris (75) - 24 janvier 2025

Pierre Sopor 25 janvier 2025

Depuis son apparition fulgurante, JE T'AIME est une comète faite de danses mélancoliques, de pluie mancunienne et de synthés colorés. Pour le trio cold wave, une fête qui s'arrête signifie le retour des fantômes, des angoisses. Alors il faut danser, il faut avancer à toute allure pour ne surtout pas se laisser rattraper, un état d'esprit fataliste que capture parfaitement leur nouvel album, Useless Boy (chronique). Pour fêter sa sortie, le groupe jouait au Point Éphémère, début d'une tournée conséquente qui les verra mener leur course effrénée dans toute la France aux côtés de Denuit.

DENUIT

Le monde commence petit à petit à en prendre conscience : Denuit est le duo le plus attachant de la scène dark française. Très présents, que ce soit avec leurs fréquentes sorties (un album par an, en moyenne) ou leurs participations à des compilations et remixes, Lis et Ivi gagnent à être vus sur scène. Denuit, c'est avant tout un univers sombre où se mélangent des influences horrifiques et gothiques et une musique qui emprunte autant au passé qu'au présent, entre influences post-punk, pop et darksynth (on pense, au fil des morceaux, à Perturbator, Boy Harsher ou Siouxsie).

Sur scène, éclairé par l’œil qui lui sert de logo, Denuit attaque avec un titre inédit, Chaos : un nouvel album approche et le public parisien avait le privilège d'entendre plusieurs nouveautés jouées pour la première fois. Lis perce l'obscurité avec ses lampes de poche et le Point Éphémère se transforme en maison hantée le temps des théâtrales Nott et Fear et leurs lamentations d'outre-tombe. Entre temps Skeletons secoue le public avec son agressivité... Denuit alterne assauts rythmiques et instants de poésie (on pense régulièrement à un autre duo français, Potochkine)... Mais surtout, Denuit sait se mettre son public en poche grâce à une attitude qui éclaire leur performance bien plus que leurs petites lampes. Il y a les paroles de Lis entre les morceaux, encourageantes, bienveillantes et pleines d'humilité, mais aussi la complicité manifeste entre elle et Ivi. Ils échangent des sourires, des petits gestes, jouent avec leurs lampes de poche : leur complémentarité et le plaisir de nous offrir ce set saute aux yeux. Des fantômes, oui, mais des p'tits fantômes qui ont envie de jouer et de s'amuser ! Avec Denuit, les ténèbres sont un petit cocon confortable et accueillant dans lequel on se sent bien. Avec une telle énergie aussi irrésistible, il devrait leur arriver de belles choses alors gardons un œil de leur côté. Ils sont trop choupis.

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JE T'AIME

Finalement, JE T'AIME aussi, ils sont trop choupis à leur manière. Il y a dBoy, chanteur et âme en peine qui fend la foule très dense du Point Éphémère pour un pipi urgent juste avant de monter sur scène. A la basse, Crazy Z roule des mécaniques clope au bec avant d'échanger de grands sourires avec ses complices. Il y a le petit nouveau, Little Bastard, qui remplace Tall Bastard à la guitare et qui, en guise de bizutage, ne semble même pas avoir eu droit à un vrai pseudo bien à lui. Héros tragi-comiques malgré eux, le trio se donne avec générosité pour faire le show et divertir son public.

On les remerciera d'avoir choisi judicieusement de jouer les meilleurs morceaux de Useless Boy : Unbroken Sleep et son post-punk hanté par des nappes de synthés futuristes, la très pop Nightcrawler et cette performance vocale acrobatique de dBoy ou encore l'oppressante Silent Monsters. Peu de temps avant le concert, le chanteur plaisantait : "je ne me souviendrais jamais de toutes les paroles !". Finalement, alors qu'anciens et nouveaux morceaux se mélangent, c'est plus la setlist qu'il oublie : "la prochaine chanson s'appelle Blood on Fire" lance-t-il avant que le trio ne se mette à jouer When Dreams Cease. C'est aussi ça, JE T'AIME, une spontanéité touchante et une envie de partager qui laisse la place aux imprévus. Alors que JE T'AIME multiplie les pirouettes, on a plusieurs fois peur que ça se casse la gueule, mais le trio retombe toujours sur ses pieds avec une grâce étonnante. On sent l'expérience des trois musiciens, qui maîtrisent parfaitement leur sujet et savent offrir à leur public une prestation irréprochable sans oublier la bonne dose de folie rock'n'roll.

La température monte, les vêtements tombent et les anciens titres ressurgissent (Give me More Khol pour l'intensité fiévreuse, Marble Heroes pour le spleen). Sur scène, on est facétieux, on est complices, on fait son petit numéro. Les contorsions expressives de dBoy donnent à son interprétation une puissance viscérale, poignante. Parfois, une froideur presque industrielle durcit le ton (il y a un peu de Nine Inch Nails dans certains claviers, et on ne dit pas ça uniquement pour le tambourin). Dans son exubérance, JE T'AIME trouve le ton juste, la meilleure réaction face aux absurdités de l'existence : pleurer et en rire à la fois, danser parce qu'on n'a rien de mieux à faire. On vous disait qu'ils étaient choupis, eux aussi. Alors que l'on voit ce bonhomme se rouler par terre dans un mélange d'exorcisme intime et de spectacle, on se dit que derrière les lunettes noires, derrière les postures ludiques et jouissives à la fois, il y a une sincérité touchante, une réelle urgence, un besoin d'échanger, de partager, qui rend tout ce projet particulièrement attachant. On a pu constater hier comme le groupe avait manqué au public parisien : paradoxalement, le groupe a très peu joué à la capitale... et alors que le concert s'achève là où JE T'AIME commençait avec C++, Dance et The Sound, on se dit qu'après des moments aussi chouettes, il est difficile de trouver qui que ce soit "useless".

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