Deux ans après un concert mémorable au Grand Rex, JOHN CARPENTER était de retour à Paris pour un nouveau concert, cette fois dans la très élégante Salle Pleyel. Depuis quelques années, le légendaire réalisateur se consacre exclusivement à la musique (et aux jeux vidéos, si on le croit), et après deux albums de bande-sons imaginaires il s'était enfin lancé sur scène. Accompagné d'un groupe complet, il y reprenait les thèmes de ses films, composés par ses soins pour faire des économies à l'époque. Cela a fini par donner Anthology, un album dans lequel on retrouvait ses compositions les plus emblématiques mises au goût du jour.
A priori, cela n'annonce pas un show radicalement différent de la dernière fois. En attendant que la salle se remplisse, LE TURC MÉCANIQUE assure un dj set qui plonge le public dans une ambiance ténébreuse appropriée à la soirée où les nappes anxiogènes sont les bienvenues. La star de la soirée, immédiatement identifiable à sa démarche un peu raide, sa paire de lunettes et sa tignasse blanche, arrive enfin sur scène sous les applaudissements de la foule. Carpenter a 70 ans et en impose avec sa dégaine de cowboy-rockeur taciturne. "Je suis John Carpenter et nous allons jouer des musiques de mes films" annonce-t-il sobrement avant que le groupe n'attaque le concert avec le thème de New York 1997. D'ailleurs, on doit citer les titres en VF ou en VO ? Allez, va pour la VF, les titres VO sont dans la setlist plus bas.
Réduire John Carpenter au cinéma d'horreur, c'est oublier son apport au film d'action, ce que rappelle d'ailleurs ce début de soirée avec la mythique musique de Assaut jouée ensuite. Peu bavard, l'artiste n'a pas besoin de mots pour mettre son public en poche. Un écran diffuse des extraits de ses oeuvres cultes (du coup, on y voit souvent l'acteur Kurt Russell) pendant que le groupe, plongé dans une relative pénombre, captive son audience avec une musique que l'on redécouvre. Une bande-son composée par Carpenter, c'est la promesse d'un bon moment : quand on entend ses synthés minimalistes en début de film et que son nom apparaît au générique, c'est un peu comme retrouver ses pantoufles. Mais sur scène, la présence des autres musiciens apporte une profondeur nouvelle, une intensité parfois très rock'n'roll et même un sentiment d'urgence qui permet d'apprécier des morceaux entendus des centaines de fois avec une oreille nouvelle. Halloween, avec sa mélodie angoissante et sa batterie qui évoque les battements d'un coeur paniqué, en est peut-être le meilleur exemple. D'ailleurs, le morceau est introduit par The Shape Hunts, composé pour le film qui sort prochainement. On reconnaît l'âme de l'original immédiatement, mais le titre est plus contenu et glaçant, parfait pour faire monter la sauce et introduire son "ainé".
Les morceaux issus des deux Lost Themes se font assez discrets, seuls les hits Vortex et Distant Dream sont de la partie. Pour le reste, on a droit aux incontournables, tous synonymes de grands moments : la fumée recouvre la scène pendant The Fog, l'ambiance devient étouffante pendant Prince des Ténèbres, on respire pendant le très décontracté thème de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin, les guitares deviennent plus musclées sur l'Antre de la Folie, morceau ouvertement inspiré de Enter Sandman de METALLICA... Et toujours cet écran qui nous rappelle qui se trouve sur scène face à nous : l'homme à qui l'on doit tant de cauchemars, à l'origine de la mode des tueurs masqués, l'homme qui a inspiré ces foutus t-shirt Obey et le personnage principal du jeu vidéo Metal Gear Solid, l'auteur de cette grandiose "trilogie de l'Apocalypse" (il s'approprie d'ailleurs le thème de The Thing, composé par Ennio Morricone à l'époque)... Bref, du plus grand créateur de cauchemars de l'histoire du cinéma, dont l'impact va bien au-delà de l'image mais se retrouve également dans notre culture et, de manière flagrante, dans la musique. Il nous recommande d'être prudent sur le retour : Christine la voiture tueuse pourrait rôder. Sa nouvelle version du célèbre thème le transforme en hymne mémorable et puissant, entre rock et synthwave.
Ses morceaux ont beau être d'une simplicité parfois folle, souvent composés en très peu de temps, ils n'en sont pas moins d'une efficacité redoutable. John Carpenter n'est pas seulement un réalisateur de génie, c'est aussi un musicien marquant. Sur scène, il lui suffit de mastiquer son chewing-gum, de parfois se dandiner légèrement (pas trop, hein, faudrait pas se bloquer un truc !) pour avoir la très grande classe. Il communique peu et ses regards approbateurs sont d'une noirceur aussi flippante que ses films, mais parfois il décroche un sourire au public, qu'il interpelle d'un poing levé de temps à autre. Son univers et son aura sont d'une telle puissance qu'ils nourrissent le show, captivant de bout en bout. JOHN CARPENTER est un artiste d'exception, et The Talent Boutique a été bien inspirée d'organiser un tel concert. On a beau ne pas avoir envie que ça s'arrête, quelque part, un peu égoïstement, on espère aussi que Big John ne reviendra pas de si tôt : c'était tellement bien qu'on veut garder ce concert un peu pour soi et en chérir le souvenir, qu'il reste unique encore un moment.
Merci à Katia pour l'accréditation.
Setlist :
01. Escape From New York
02. Assault on Precinct 13
03. Village of the Damned
04. The Fog
05. Vortex
06. Mystery
07. They Live : Coming to L.A.
08. Starman : Starman Leaves
09. The Thing
10. Distant Dream
11. Big Trouble in Little China : Pork Chop Express
12. The Shape Hunts
13. Halloween
14. In the Mouth of Madness
15. Body Bags
16. Vampires : Santiago
17. Prince of Darkness : Darkness Begins
18. Christine (Plymouth Fury)