Un peu à la manière de la rentrée des classes ou du Beaujolais, KING DUDE est d'une régularité affolante. Avec un album tous les ans (et demi) et autant de passages par la case concert à Paris, la bobine de Thomas Jefferson Cowgill vient régulièrement illuminer nos soirées. Et pourtant, le bougre nous avait manqué : sa dernière visite remontait à fin 2018, c'était à Petit Bain et il y présentait son album Music to Make War to entouré de tout son groupe. En mars, l'artiste sortira Full Virgo Moon et venait nous en donner un aperçu, cette fois-ci dans une configuration réduite (ils sont deux sur scène), acoustique et plus intimiste : la Boule Noire se prêtait parfaitement au jeu de la proximité et la soirée pouvait commencer avec BIÈRE NOIRE.
BIÈRE NOIRE
Parfois, on tombe sur des olibrius, comme ça. Félicitons (et remercions) Voulez-Vous Danser, qui a le nez pour programmer des premières parties souvent confidentielles et surprenantes. BIÈRE NOIRE donc, soit un artiste seul sur scène disant ses textes sur un fond musical passé en playback. La silhouette est élégante, et il se dégage de cette performance un décalage saugrenu, quelque chose d'à la fois profondément sombre et très second degré (la page facebook de l'artiste pointe quand même sur un skyblog absurde). Il faut le voir avec sa ceinture en tête de mort, l'essai de Villeneuve sur les vampires et loups-garou à la main, déclamer son texte sur un fond musical allant de l'ambiant anxiogène aux rythmiques dansantes anachroniques.
Le goût des mots et du texte bien troussé est évident. Ce qui l'est moins, c'est de se faire réellement prendre dans l'ambiance poético-ésotérique : la salle a du mal à se remplir, ça papote et fait des selfies dans le public pendant que l'artiste, seul, se produit sous les couleurs vives des spots. Une fois n'est pas coutume, des conditions moins luxueuses auraient peut-être été en faveur du projet : plutôt que des spots changeant de teintes à chaque morceau et une belle scène chaleureuse, BIÈRE NOIRE est plus adapté aux scènes obscures, insalubres et souterraines. La découverte n'en est pas moins originale et l'artiste se produira de nouveau à la fin du mois, au Café de Paris, avec notamment LEA JACTA EST. On a déjà placé les mots anachroniques et olibrius, non ? Insistons alors une dernière fois sur l'amer sombreur sépulcrale de la chose, après tout, on ne s'appelle pas BIÈRE NOIRE pour rien.
Setlist :
01. La complainte du Vampire de Muy (Jean Bal)
02. Bat-Love
03. Je Te Vois
04. Albatros
05. Amour Bestial
06. L’Aigle à Deux Têtes
07. Les Statues Meurent Aussi
08. Tombe Le Rouge (Alice Assouline)
09. Dhempiresa
10. Chimène (René Joly / Gérard Manset)
11. Vallonia-Des-Eaux
KING DUDE
C'est une autre sort de bière (à moins que ?) qui se retrouve sur scène pendant KING DUDE : la tradition l'exige et Cowgill se pointe avec de quoi boire un coup pendant le concert. Du jus de pomme, qu'il nous dit. Il nous a pris pour des jambons, le gars. Sur scène, il est simplement accompagné de sa guitare et de Garret Gonzales qui apporte quelques percussions théâtrales aux rengaines lucifériennes du Roi Mec.
Cowgill est venu nous présenter son nouvel album, Full Virgo Moon, qui sortira le 13 mars. Le morceau-titre, déjà connu du public, rencontre un joli succès et plante l'ambiance de la soirée : intimiste et paradoxalement chaleureuse. Les sinistres balades de KING DUDE oscillent entre le déprimant et le terrifiant mais leur auteur, lui, amuse son audience avec de nombreuses blagues et anecdotes : il est ravi de ne pas jouer sur un bateau cette fois et insiste sur combien il déteste Londres ("une version merdique de New York, avec plein de taxes"). Le lendemain, KING DUDE jouait à Arlon : on se doute que Paris a pris cher et que, le temps d'une soirée, Arlon était la meilleure ville du monde.
Manifestement d'excellente humeur, il achève par exemple Make Me Blind, un "nouveau titre trop bizarre et horrible, à se demander qui est le malade qui l'a écrite" avec un fou rire. Faut-il voir dans la bouteille entamée la cause de son hilarité ? Allez savoir si le flacon à moitié vide rend heureux, mais la messe est réjouissante et les fidèles réactifs. L'atmosphère qui s'installe à la Boule Noire est assez unique : de sa voix douce et vénéneuse, Cowgill hypnotise les premiers rangs avec des titres acoustiques remplis de menace et de noirceur avant de faire retomber la tension avec des conversations amicales souvent drôles. Comme à chaque show acoustique, les types qui discutent fort au bar, sans égard pour l'artiste ou le public, se font remarquer mais Cowgill, grand seigneur, se demande juste de quoi ils peuvent bien parler, tentant en vain d'attirer leur attention.
Il est difficile de capter et maintenir l'attention d'un public toute la durée d'un concert, encore plus quand on est (presque) seul sur scène, dans une configuration minimaliste. Pourtant, en installant d'emblée cette ambiance à la fois intime et conviviale, KING DUDE réussit à créer une petite bulle et à rendre son bonheur communicatif avec plus d'efficacité que lorsqu'il est entouré d'un groupe. C'est qu'il sait nous mettre dans sa poche, le gaillard, avec son charisme de mâle alpha, ses airs de gentleman déviant et son élégance débraillée juste ce qu'il faut pour qu'on devine les tatouages qui ornent son torse velu. On le voit venir, le coquin : il sait très bien qu'il nous a charmés avec son auto-dérision mais surtout sa musique. Le show touche à sa fin et c'est avec Cowgill seul au piano que la soirée d'achève pour une poignée de titres servant de rappel. Ce n'était pas blindé, mais tant mieux : on se sentait d'autant plus privilégié. On espère que ça sera aussi sympa l'année prochaine.
Setlist :
01. Endless Rose
02. Full Virgo Moon
03. Forty Five Says Six Six Six
04. The Satanic Temple
05. Make me Blind
06. Deal with the Devil
07. Something About You
08. Please Stay
09. The Devil's Plaything (BACKWORLD cover)
10. Jesus in the Courtyard
11. Lucifer's the Light of the World
12. Forgive About my Sins
13. Funeral Song for an Atheist
14. God Like Me
15. Never Let me Go