Drab Majesty
Chaque tournée de KING DUDE s'accompagne en général de très bonnes premières parties. Après avoir laissé ses amis de OF THE WAND & MOON et SOL INVICTUS à Londres, le Dude démarre sa tournée allemande en compagnie d'un compatriote américain, DRAB MAJESTY.
Et la première question que l'on se pose est la suivante : pourquoi n'en avons-nous pas entendu parler avant ? Certes, traverser l'Atlantique ne se fait pas tous les jours lorsqu'on ne s'appelle pas Madonna, mais voilà un groupe qui devrait avoir une résonance bien plus grande sur notre continent. En fait, si DRAB MAJESTY joue les ouvreuses avec KING DUDE, il est depuis le mois dernier en tournée en Europe en tant que tête d'affiche et s'est arrêté à Paris pas plus tard que le 9 avril dernier à la Mécanique Ondulatoire ou encore le 8 avril au Sonic à Lyon. Sachez donc que si vous l'avez raté, vous êtes désormais dans le péché.
Car DRAB MAJESTY est un groupe de darkwave tout simplement exceptionnel. Comme les codes de la darkwave le veulent, le duo androgyne arrive sur scène en tirant la tronche, timide et blasé, caché derrière des lunettes pop futuristes et des drapés qu'on ne voit plus depuis les années 1980. C'est du déjà vu, mais tellement bien fait. L'accoutrement et le maquillage rappelle furieusement les années CINEMA STRANGE mais aussi VISAGE, en ajoutant ce bleu-gris, drab, qui donne à DRAB MAJESTY sa signature.
Musicalement, ce n'est pas nouveau non plus. Mélangez les guitares de CLAN OF XYMOX, LEBANON HANOVER et SHE PAST AWAY, ajoutez une voix douce, jouant sur l'ambiguité des genres, pulsez ça avec 300% de reverb, et vous obtenez DRAB MAJESTY. Cependant, ce qui est exceptionnel, c'est de tenir le cap et d'en faire un univers propre, de s'approprier ce shoegaze à la mode et d'en sortir des tubes. C'est le cas notamment du nouveau titre Too Soon To Tell, qui sort du lot dès les premières mesures. DRAB MAJESTY reste principalement dans des rythmes planants, langoureux, parfois lassant il faut le dire. Alors quand ça s'excite un peu, on remarque tout de suite la différence. Le public se laisse prendre aux mélodies accrocheuses, et si certains restent timides, les premiers rangs prennent définitivement leur pied lors de cette trop courte première partie.
King Dude
Nous y sommes. Cela fait 11 mois que l'on attend son retour. KING DUDE ne passe plus une année sans faire un détour par l'Allemagne. En quelques années, l'ancien metalleux aux cheveux longs et crasseux et à la barbe mal taillée a emporté le coeur de toutes les critiques avec son "apocalyptic folk", cette fusion unique de la musique folk, dark folk, blues, metal, punk et autres couleurs que le King parvient à incorporer à sa musique. Son oeuvre est parfois inégale, comme celle de tous ces artistes ravagés qui sont capables des plus belles perles mais aussi de grands naufrages. Mais son oeuvre possède une profondeur sans égal. Le type n'est pas là pour choper de la groupie en backstage et faire des tournées avec les potes. Ça lui sort des tripes, c'est un besoin, une urgence.
C'est vrai, KING DUDE est devenu très à la mode ces derniers temps. De Vice à Arte, la presse salut l'artiste. Le Hellfest choisit même son Fear is all You Know en bande sonore de son aftermovie 2016. Mais il faut reconnaître que ce n'est que justice. Il y a tout juste un an, KING DUDE, à l'époque trio en concert, passait au Luxor de Cologne. Cette année, il double - si ce n'est plus - la superficie en s'appropriant l'Underground. De nombreux visiteurs étaient déjà présents l'an dernier et ne sont pas prêts de lâcher le groupe, malgré Sex. Sex, c'est le dernier album de KING DUDE, sorti en 2016, qui sonne dans on ensemble bien plus rock que folk. Plus difficile d'accès que ses précédents opus, il peut mettre mal à l'aise et a certainement perdu quelques fans en route. La salle est pourtant pleine, de jeunes et moins jeunes, de tous horizons.
La première chose que l'on remarque, c'est évidemment, cocorico, l'apparition d'une nouvelle bassiste, Lee Newman. Un peu stressée à l'arrivée, la situation ne s'arrange pas lorsqu'elle s'aperçoit que sa prise crée dans l'ampli des faux contacts et qu'elle ne peut pas jouer. Il faudra quelques 10 minutes pour réparer les dégâts. TJ Cowgill, lui, est d'un calme olympien. Ça ne marche pas ? Bon, alors improvisons un petit truc de notre côté. Le trio Cowgill, Johnson et Larson nous font donc patienter... en musique. Quant à Lee Newman, elle restera un peu crispée de cette mésaventure pendant tout le concert, malgré les petites blagues du Dude : "Don't worry Lee, you're not in a 'leave' situation. Because she's named Lee, so sometimes, when she does something wrong, we say 'hey Lee, leave!'. But tonight, you're doing perfect Lee (perfectly)" (T'inquiète, Lee, on ne va pas te demander de sortir. Oui car elle s'appelle Lee, donc parfois, quand elle fait des conneries, on lui dit 'Hey, Lee, sors!'. Mais ce soir, tu es Parfaite Lee).
Bref, vous connaissez TJ Cowgill, ce bout-en-train qui sort des blagues à tout va, et à qui le public dit parfois de la fermer et de jouer. Cette fois, c'est un trublion qui a perturbé la fête en s'amusant à répéter pratiquement toutes les paroles en décalé du fond de la salle. Le groupe a dû plusieurs fois s'arrêter en plein morceau pour se reconcentrer. Mais l'interaction, c'est ce qui fait le spectacle vivant. Cette tournée est plus polissée qu'auparavant. KING DUDE arrive sans sa bouteille de whisky, et on l'entend peut bavasser durant les premiers titres. Mais ce n'était qu'une ruse pour mieux embrayer sur la suite. La bouteille de whisky est arrivée quelques chansons plus tard, et Cowgill a fini par demander à son auditoire en allumant une cigarette si quelqu'un pouvait lui passer une drogue bien fracassante après le show. Cette fois ça y est, KING DUDE est de retour.
Côté setlist, très bel agencement sur cette tournée qui laisse au moins trois titres par album. Mais si vous jetez un oeil en-dessous, vous aurez évidemment deux grandes surprises : Barbara Anne et Lucifer's The Light of the World ne sont plus au programme. Ces adieux sont déchirants car tout le monde attend avec impatience ses titres mythiques, mais il faut dire qu'il y a peu de chose à jeter dans cette setlist déjà bien complète. Après un premier tour de chauffe, c'est Jesus in the Courtyard qui réveille le public et flanque la chair de poule. Le groupe demande au public de chanter avec lui et même sans lui, et c'est à cet instant que l'on se rend compte que la salle entière connaît les paroles par coeur. On ne peut d'ailleurs pas vraiment compter sur Cowgill pour nous aider, car il faut donner un gros bémol à la technique qui a pratiquement effacé sa voix derrière les guitares durant tout le concert.
Arrive ce qui personnellement reste mon morceau préféré, Silver Crucifix, et ce calme voix/guitare est immédiatement interrompu par l'abruti du fond de la classe qui beugle sans fin. La salle rit à chaque fin de phrase, on se croirait chez Gad Elmaleh. L'instant émotion du concert est terriblement gâché. Heureusement, il finit par fermer son clapet pendant le pont instrumental sans égal, arracheur de tripes. Ce court morceau se finit brutalement, et l'on s'attend à pouvoir applaudir en choeur dans un sursaut d'émotion, mais KING DUDE et le pathos n'ont jamais fait bon ménage et il enchaîne sans pause sur Sex Dungeon, le nouveau single controversé de l'album Sex. Au passage, on comprend mieux pourquoi ne pas avoir troqué sa Gretsch pour une guitare acoustique sur Silver Crucifix. À vrai dire, aucun titre ne sera joué ce soir-là en acoustique. Pour revenir à Sex Dungeon, dont VRDA a préféré ne pas diffuser le nouveau clip interdit aux moins de 18 ans (allez-y, rats que vous êtes, courez de ce pas sur Youtube regarder une vidéo pour adultes), c'est 2:50 de brouhaha assez insupportable. Le titre divise les fans, certains crient au génie, d'autre au scandale. C'est en tout cas tellement dommage d'enchaîner ces deux titres, mais il faut reconnaître que la stratégie est imménsément efficace. Sex Dungeon passe en live comme un superbe exercice technique et le public applaudit à tout rompre.
Pour Who Taught you how to Love, Cowgill renvoie ses musiciens en coulisses et appelle Deb DeMure de DRAB MAJESTY pour un petit duo fort sympathique. Pour la première fois de la soirée, Cowgill est nu - comprendre : sans sa guitare - et évidemment, dès qu'il a les mains libres, il en profite pour s'allumer une clope... et boire un petit coup.
La fin du concert se déroule sans encombre, tandis que le public attend toujours Lucifer's The Light. Malgré la beauté de Heavy Curtain ou la dynamique de Black Butterfly, on a ce petit goût amer. KING DUDE quitte la scène et on espère alors qu'il la joue en rappel. Mais à mieux tendre l'oreille, on s'aperçoit que la bande son diffusée est l'interprétation féminine et sublime de Lucifer's The Light. Ils ne reviendront donc pas la jouer. Le public commence à comprendre qu'il n'y aura même pas de rappel, malgré les maintes relances et le quart d'heure à patienter devant la scène.
KING DUDE sera le 30 mai prochain à La Laiterie de Strasbourg. Si vous n'avez pas encore compris, il FAUT y aller.