Kloahk + Midnight Street of Rage + Supershotgun @ Le Cirque Electrique - Paris (75) - 12 septembre 2024

Live Report | Kloahk + Midnight Street of Rage + Supershotgun @ Le Cirque Electrique - Paris (75) - 12 septembre 2024

Pierre Sopor 15 septembre 2024

Il y a des affiches sur lesquelles les étoiles (noires) s'alignent : Kloahk, Supershotgun et Midnight Street of Rage dans l'Anti-Club du Cirque Électrique en est un bon exemple. Dans la petite salle aux conditions techniques souvent douteuses (ce soir-là le son était d'une propreté assez rare pour être soulignée), il y avait trois univers forts mais, surtout, trois propositions variées pour pouvoir remuer son popotin, rouler des mécaniques et bouder dans la pénombre. Tout ce qu'on aime.

Midnight Street of Rage

On est d'ailleurs surpris de voir le duo synthwave metal Midnight Street of Rage ouvrir la fiesta : en plus d'être le projet le plus ancien, il est aussi celui qui gagne au concours de qui a le plus gros nombre de followers sur Facebook (indice qui vaut ce qu'il vaut). Et même s'il n'y a pas foule dans les premiers instants du set, ça se remplit rapidement et ils retournent les lieux en bonne et dûe forme. Il faut dire que les ingrédients pour mettre l'ambiance sont réunis : leur synthwave dynamique et leurs références geek caressent le public dans le sens du poil (surtout ceux chez qui, justement, ce poil est grisonnant : la nostalgie 80's commence à être une affaire de grandes personnes). Surtout, Midnight Street of Rage dépoussière les clichés à grands coups de riffs méchants qui donnent aux morceaux leur épaisseur et leur mordant. C'est à la fois furieux et jouissif, les deux bonshommes sur scène communiquent leur enthousiasme avec hargne et énergie... et savent bien que les reprises de trucs d'un autre temps ça cartonne. Passer à la moulinette Freed From Desire de Gala et You Spin Me Round de Dead or Alive en y ajoutant de grosses guitares, ça ne peut pas faire un bide en fin de set et tout ce cirque était effectivement électrique.

Supershotgun

Une chose que l'on apprécie avec le running-order de la soirée, c'est de voir l'ambiance plonger progressivement dans la pénombre, accompagnant ainsi la chute du soleil derrière l'horizon. La synthwave de Supershotgun est bien moins festive et, même si l'on en goûte les touches plus nostalgiques et lumineuses, les nappes bien épaisses plantent un décor menaçant propice aux trognes renfrognées de vilains conspirateurs (l'Anti-Club semble particulièrement adapté à la conspiration). Petit à petit, l'intensité monte et les parties plus atmosphériques cèdent leur place à une méchanceté plus agressive. Si l'on danse sur Supershotgun, c'est en faisant une mine patibulaire et en montrant les muscles, ici les bassins ne se dandinent pas joyeusement et les mains ne tapent pas en rythme. Et puis il y a ce type, là, dans son exo-squelette, derrière son barda : le visuel s'étoffe avec le temps, les lumières timides font la part belle au rouge et au noir, ça sent bon les bas-fonds futuristes un brin cauchemardesques... Mais on sent aussi, derrière cette barbe autoritaire, un regard qui souvent pétille, une malice qui jaillit le temps d'un petit sourire et un jeu de scène discret qui s'affirme de dates en dates : privé de micro, l'artiste communique avec ses gestes. Un peu à la Carpenter Brut, Supershotgun fait le gros dur avec sa pilosité faciale imposante, son matériel et son mur de son mais on devine aussi l'entertainer, la déconne : c'est sombre, l'ambiance fonctionne à mort, mais il y a ce petit plaisir ludique, cette conscience qu'on s'amuse bien et qu'il ne faut pas prendre tout cela trop au sérieux non plus. C'est badass, fun et immersif.

Kloahk

Fini de rire. La nuit est tombée depuis un bon moment quand Kloahk s'installe sur scène et nous plonge dans son monde fantomatique et mélancolique. Figure à la fois touchante et inquiétante, le personnage blafard qu'incarne Paul Prevel, spectre analogique dont les traits émergent des ombres, vient nous chanter ses complaintes rock / indus, piochant dans les ombres de Nine Inch Nails, Gary Numan... ou même Placebo (dans le public, on entend d'ailleurs une fine analyse : "on dirait un peu Brian Molko, mais en bien et sans la voix pourrie"). Le temps passe et à chaque sortie, chaque apparition sur scène, Kloahk nous en convainc un peu plus : on tient là un des plus beaux projets de la scène industrielle française, quelque chose de sincère, accessible et accrocheur. On adore la sensibilité qui s'en dégage mais aussi ces touches sinistres, les morceaux les plus récents faisant preuve d'une lourdeur et d'une noirceur que l'on n'avait pas encore vraiment vu chez Kloahk et qui tease un troisième EP imminent.

Côté setlist, on est cueilli d'entrée par ce début sur No One Will Miss You When You're Gone et ses paroles en français, qui nous enveloppe pour mieux nous attirer dans les ténèbres. Plus tard, Kloahk réarrange ses collaborations avec Divine Shade et Shaârghot pour s'affranchir des guests et en livrer des versions "solo". Horaire tardif, configuration intimiste et prénombre écrasante : les conditions sont parfaites pour se perdre dans son spleen, là, les yeux rivés vers un sol trempé de bière (on espère que c'en était, l'odeur provoque tout de même quelques interrogations inquiètes), à se faire gratter les tripes par ces riffs de guitares cathartiques. Accompagné d'Olivier Hurtu à la batterie, déjà son collègue dans Shaârghot, Paul Prevel est un peu trop rare à notre goût avec Kloahk. Son talent et sa sensibilité lui donnent une voix unique et, à part un léger déséquilibre sur scène (la batterie en retrait dans la pénombre laisse un côté de scène un peu vide), tout y est. Cette figure spectrale qui flotte dans la nuit pour nous hanter avec ses complaintes lugubres, sombrement oniriques, est décidément unique. Le monde ne le sait pas encore, mais Kloahk est un des plus beaux projets de musique industrielle que l'on ait en France et il serait temps que ça se sache.