L'association proposée par Cartel Concerts est judicieuse : KLONE et THE OLD DEAD TREE proposent chacun avec élégance leur expression de la mélancolie, contemplative et introspective pour les premiers, plus lourde et viscérale pour les seconds. Le public parisien avait l'occasion de découvrir le nouvel album de KLONE, Meanwhile, sorti la veille (chronique) tout en renouant avec THE OLD DEAD TREE, dont le dernier album remonte à 2007 et qui s'était reformé juste avant le covid. Mais avant de pouvoir se dire les uns les autres "ohlala, la dernière fois que je les ai vus, c'était il y a vingt ans" et d'assister aux concerts de deux groupes cultes de la scène metal française, PATRÓN ouvrait la soirée.
PATRÓN
Le patron, en question, c'est Lo S Data, également chanteur du groupe de desert rock LOADING DATA. On comprend mieux le nom, qui jusque là nous évoquait, soyons honnêtes, une bouteille de Tequila, mais aussi l'univers présenté : avec sa chemise colorée, ses cheveux gominés et sa voix grave de crooner un tantinet goth (un peu d'Elvis Presley, un peu de Nick Cave), le bonhomme sent le sable brûlé par le soleil. Du gros rock entraînant et lourd, avec un brin de stoner dedans, un mélange de décontraction, de séduction vénéneuse et de groove sinistre : la musique de PATRÓN donne envie de se saouler dans un bar insalubre, la mine patibulaire. Si le son, assez léger, nous paraît en décalage avec la suite de la soirée (le premier album de PATRÓN est paru en 2020 sur Klonosphere, l'estimable label de KLONE, ceci expliquant probablement cela !), on doit bien admettre que le charme de l'artiste, très expressif et saupoudrant son concert d'un humour discret, tout en mimiques, opère. Mais aussi qu'on le préfère quand il semble un tantinet plus déprimé et moins solaire, à l'image du morceau Who Do You Dance For ou des couplets de Room with a View.
Setlist :
Room with a View
Jump in a Fire
Who do you Dance for
Very Bad Boy
Next Stop
THE OLD DEAD TREE
Il y a un débat au sein de notre équipe qui est vieux comme le site. Au milieu des années 2000, THE OLD DEAD TREE bénéficiait déjà d'une aura bien particulière, déjà culte, le public étant évidemment touché par le suicide du batteur Frédéric Guillemot qui hantera pour l'éternité les fondations du groupe (cette "nameless disease" qui donne son nom au premier "vrai" album du groupe). Sur notre petit webzine naissant, notre bien aimé fondateur est alors fan de TODT. C'était son premier concert. Il adore. Moi, je n'ai jamais su apprécier et restait hermétique à leur travail. Retour en 2023 : "il faut à tout prix que tu viennes au concert, ça me ferait plaisir", me dit le boss. "Ouais mais je suis pas fan du tout, tu sais, j'ai jamais trop compris, mais ok, je vais découvrir en live, c'est une belle occasion et l'affiche a de la gueule". Voilà pour le contexte.
Il faut bien peu de temps pour reconnaître que THE OLD DEAD TREE a un truc bien particulier : avant même le début du concert, la déco à la fois sobre, gothique et efficace qui consiste à placer quelques brindilles mortes sur les pieds de micro mais aussi ces très belles ampoules chaudes, comme des bulbes bourgeonnant dans cet arbre mort, suffisent à poser l'ambiance. Et il faudrait une sacrée dose de mauvaise foi pour ne pas admettre que ouais, c'est vrai, THE OLD DEAD TREE, c'est vraiment bien. Ils avaient raison, tous ces métalleux tristes. Les morceaux sont à la fois poignants et efficaces, le groupe dégage une sincérité communicative mais aussi une réelle chaleur, on sent leur plaisir à partager ce moment. Le son est plus épuré et moins torturé qu'en album, certes, mais cela rend la performance plus sincère, plus bienveillante et intimiste aussi et met en valeur la beautédes mélodies. Selon les titres et les époques, on reconnaît les différentes influences, du prog (What Else Could We'Ve Said) à la pop (les lignes de chant plus haut perché de Manuel Munoz, un peu à la MUSE) en passant bien sûr par les abysses gothiques (Unrelenting) et les hymnes des débuts (We Cry As One, It Can't Be). On est surpris de ne pas entendre The End, le morceau datant de 2020 qui marquait le retour du groupe, mais pour le reste THE OLD DEAD TREE a transporté son public avec chaleur et passion, au sein de la tourmente mais aussi des accalmies de parties acoustiques. Très classe. "En en plus, Munoz il a même pas de cheveux blancs" me dit le boss. Ouais, c'est vrai. En plus, il a même pas de cheveux blancs, lui.
Setlist :
Sorry
Out of Breath
Regarding Kate
Unrelenting
What Else Could We've Said?
The End... Again
Even If
We Cry as One
It Can't Be!
The Bathroom Monologue
KLONE
De la classe et du voyage, on en attendait au moins autant de KLONE, dont la carrière commençait petit à petit à prendre un nouveau tournant plus atmosphérique à peu près à l'époque où celle de THE OLD DEAD TREE s'arrêtait. KLONE apparait dans la fumée et, sans surprise, consacre l'essentiel du concert à ses deux derniers albums, Le Grand Voyage et Meanwhile. Si les deux disques sont assez proches, le dernier en date était peut-être un peu plus rugueux et nerveux que son ainé, revenant à quelques explosions rageuses bien senties. Avec élégance et retenue, KLONE gère d'ailleurs très bien la tension, la laissant monter pour se dissiper dans des brumes introspectives ou, au contraire, éclater brièvement au détour d'un riff ou d'une passage plus tempétueux, comme cette indispensable reprise d'Army of Me de BJÖRK, tout en épaisseur et colère flamboyante.
Si l'on apprécie toute la subtilité des morceaux joués, leur capacité à créer un espace poétique et personnel, la voix de Yann Ligner qui nous nous sert de guide dans cette brume mystérieuse, il se crée également un certain paradoxe : là où beaucoup de groupes utiliseraient les parties calmes pour faire respirer le public, c'est presque l'inverse qui se produit avec KLONE. C'est quand le rythme s'emballe, quand le groupe se laisser aller à plus de violence (relative) que l'on sort d'une espèce d'apnée respectueuse et quasi mystique pour respirer goulûment : le groove de The Dreamer's Hideaway ou la récente Within Reach permettent de laisser échapper la tension et la mélancolie, de secouer un peu cette surface calme sous laquelle on sent un bouillonnement d'émotions prêtes à jaillir et, ainsi, de mettre en valeur cet aspect cathartique que l'on trouve dans ces moments où la musique explose enfin. L'errance onirique proposée par KLONE se retrouve renforcée par cette maîtrise des nuances, cette capacité à associer l'éthéré à un son plus sismique et quand cet univers prend vie sur scène, ça a quelque chose d'un peu irréel et très beau à la fois.
Setlist :
Elusive
Rocket Smoke
Night and Day
Sealed
Keystone
Gone Up in Flames
Within Reach
Bystander
Immersion
Army of Me
Nebulous
Silver Gate
Yonder