Si la pandémie a fait des ravages dans l'univers du spectacle, quelques boutures repartent timidement, et avec elles l'espoir que tout n'est pas perdu. 2022 accueille la première édition du Fledermaustreffen, festival organisé par Minicave, orga munsteroise en place depuis une demi-douzaine d'années, qui pousse lentement mais sûrement. Ensemble, ses membres ont choisi la vallée de la Ruhr et le Burg Vondern à Oberhausen pour implanter leur événement.
Loin des clichés du gothique misanthrope, l'ambiance se veut familiale. Après deux ans de disette sociale, rassembler est le maître-mot. Le festival s'étale sur trois jours avec seulement sept groupes. Ici, on prend le temps d'écouter, d'apprécier, de se promener. Le petit château au cœur de la ville industrielle se cache derrière une épaisse forêt. Un petit secret bien gardé.
Outre le programme musical, Minicave a prévu le samedi une visite touristique d'Oberhausen ainsi que des lectures. Le dimanche, avant de reprendre la route, un petit-déjeuner est prévu par les organisateurs. Des Brötchen, de la charcuterie, du fromage, et des copains avec qui faire le débrief du week-end. Le festival a tous les atouts de ses grands frères : une scène extérieure, une piste de danse intérieure pour les afters, un coin commerce, de la bière et des Currywurst, des bancs, de la nature, un camping... mais on a plutôt l'impression de venir passer le week-end chez des amis. Un festival à taille humaine qui débute le vendredi soir avec un unique concert.
Là aussi, Minicave la joue décomplexée. Les trois comparses en chef s'assoient sur la scène et discutent en toute authenticité. Au lieu de grands discours ampoulés pour vanter la qualité de l'événement, Nina nous indique où sont les stands, l'emplacement des poubelles, "mais on est entre nous, je suis sûre que vous saurez vous tenir... et n'oubliez pas le petit-déjeuner de dimanche!", comme si on était invités à sa fête d'anniversaire mais qu'il fallait faire gaffe de ne pas péter le vase de papa. Un peu lunaire, très intimiste.
S'avance alors le roi de la soirée, et il s'agit de LUCAS LANTHIER. Eh oui, chez VerdamMnis, on ressuscite les fantômes du passé. Notre dernière rencontre avec le musicien californien remonte au WGT 2016, où lui et ses amis avaient renfilé le costume de CINEMA STRANGE le temps d'un concert, et celui de DEADFLY ENSEMBLE un jour auparavant. Depuis, il est passé furtivement une ou deux fois en Europe, notamment pour un autre événement organisé par Minicave avec son projet THE DIRTY WEATHER PROJECT avec Frank Vollmann (FRANK THE BAPTIST). Bref, il continue son petit bonhomme de chemin, sans selfie insta, sans grosses annonces. Il n'y avait donc personne à ressusciter ce soir-là, car ce n'est pas parce qu'on n'entend plus parler d'un artiste sur la toile, qu'il n'est pas actif. Lanthier publie régulièrement des nouveautés sur son Bandcamp, et joue où il veut, quand il veut, au rythme qu'il choisit.
Perché sur ses talons aiguilles, une bouteille de vin à la main, Lanthier s'installe. D'habitude accompagné de son batteur Dizhan Blu, il est ici en solo, aidé par des boîtes à rythme et quelques playbacks. Attendez les gars, vous voulez dire qu'on va regarder pendant deux heures un type assis sur un banc qui joue de la gratte devant un décor de fenêtre en papier digne de la kermesse du petit dernier ? Ben ouais, et bien qu'intimidant, le challenge est plus que réussi. Lucas Lanthier est à la ville plus qu'un simple excentrique à la voix haut perchée. Mannequin, comédien, conteur, auteur, compositeur, interprète... un intermittent du spectacle, dans sa plus respectueuse acception. Il faut avoir un sacré professionnalisme pour oser le seul en scène, et Lanthier n'en manque pas.
Lorsque l'on parle d'interprète, nous vient en tête l'image d'une poupée écervelée qui enregistrerait un tube commercial préfabriqué dans l'arrière-studio de grosses compagnies dont les dents rayent le parquet. Et sans même en arriver là, on oppose souvent l'interprète à l'artiste, celui qui crée, et celui qui déclame. Lanthier nous prouve ce soir-là que l'interprétation est loin d'être un art de second rang. Ses chansons sont toujours des contes, récits absurdes et sarcastiques, qu'il met en scène avec brio. Il vit tout ce qu'il dit, laissant son visage se tordre au gré des personnages. La barrière de la langue est parfois handicapante, mais il parvient toujours à nous faire sentir la chute de ses histoires, le moment où il faut sourire cyniquement.
Discret et réservé entre les morceaux, il n'hésite pas à déborder du sentier une fois entré dans son personnage. Lors d'une fausse note, il ajoute "où est mon Do" dans ses paroles. En plein milieu d'un titre, il oublie son texte, s'arrête et dit en souriant : "ça fait quoi déjà la suite ?". Et lorsque son ingé son tarde à envoyer le bon rythme, il improvise a capella un Oh Sing, Sweet Nightingale de Cendrillon, pour nous faire patienter.
À la fin du concert-spectacle, il descend de scène, fait le tour et se mêle à la foule, applaudissant et s'attendant lui même remonter pour un rappel. Il disparaît finalement comme il est venu. Lucas Lanthier, c'est ce costume qu'on adore mais qu'on ne porte que pour les grandes occasions, avant de le remettre au placard. Un jour, on ouvre, et on avait oublié qu'il était là, et à quel point pourtant on l'adore. Eh merde Lucas, sors de ce placard !