Avec Mayhem, c'est rarement simple. La mythique formation black metal fête cette année ses quarante ans de méfaits... mais quand on est maudit, on est maudit. Après avoir dû annuler sa tournée américaine pour des raisons de santé, Mayhem commençait sa petite tournée européenne d'anniversaire au Bataclan. Point d'anciens membres invités sur scène au programme (Mannheim ou Messiah ont fait quelques apparitions cette année) et le Bataclan n'est pas franchement plein (certains pointaient du doigt le prix de la place), certes, mais la promesse de deux heures de concert et des titres rarement joués reste irrésistible. La soirée organisée par Veryshow s'annonçait spéciale et ce malgré les venues relativement fréquentes de Mayhem en France.
Verset Zero
Pour noircir l'atmosphère, Verset Zero posait son autel sur la grande scène du Bataclan. On a eu la bonne surprise de croiser à plusieurs reprises le projet indus / doom / black metal cette année lors de soirées aussi diverses et variées que ses influences, espérons alors que petit à petit son univers trouve le chemin des cœurs les plus noirs. Fleurs et calice, capuche noire et masque : comme d'habitude, le rituel commence dans une atmosphère mystérieuse qui très vite se heurte à la lourdeur du son. Verset Zero fait dans le guttural, le monumental, le théâtral, le cauchemardesque. La musique puise dans une foule de sonorités, au risque de perdre les non-initiés qui, dans un Bataclan qui se remplit peu à peu, paniquent : est-ce qu'il va falloir danser ?
Pas d'inquiétudes. L'humeur est à la pesanteur, à la menace contenue. Devant autant à Author & Punisher qu'à la scène black metal des années 90 ou aux derniers travaux de Perturbator, Verset Zero inclut également quelques rythmiques trap à son set. On a pu découvrir deux titres inédits, Victoria et La Trahison des Démons, apprécier les nappes oniriques des Horizons Mélancoliques (un feat avec Perturbator, d'ailleurs) et savourer toute la noirceur du récent album Phantasma. On a hâte de le revoir dans une configuration plus intimiste, dans la pénombre, pour profiter pleinement de la créativité et de l'univers de cet artiste atypique, son talent pour fracasser les frontières et nous balancer toute sa noirceur au fond des tripes... parce que c'est bien gentil le Bataclan, c'est très classe, mais c'est un peu trop grand et lumineux pour ce genre de projets !
MAYHEM
Quand Mayhem arrive sur scène, on retrouve rapidement ce parfum typique qui les accompagne, ce mélange de familiarité et d'étrangeté. Après quarante ans, Mayhem reste un objet à part et le look des musiciens, déjà, brouille les pistes : la sobriété des uns contraste avec l'apparence du guitariste Teloch et surtout du chanteur Attila Csihar, qui mettent le paquet sur le maquillage. Et puis il y a la musique : le black metal de Mayhem est à la fois un socle fondateur mais aussi atypique et déviant grâce notamment à ses racines rock'n'roll qui lui donnent son énergie et un groove bien particulier. La voix du Maître de Cérémonie, entre croassements grinçants, liturgies menaçantes et passages en voix claire donne à la musique son parfum putride, son autorité, sa folie. Attila fait le show, figure sinistre et charismatique qui garantit à lui seul toute l'étrangeté malsaine du show, alors qu'à la basse le taulier Jørn Stubberud, alias Necrobutcher, communique fréquemment avec son audience. Les plus taquins s'amuseront de toutes les fois où Attila pose la main sur les têtes des autres musiciens : vu la tendance capillaire chez Mayhem, il est peu probable que ce soit l'heure du shampoing (Hellhammer, planqué derrière sa batterie, fait exception) et ce "calin" prend une tournure lugubre tant il semble déjà convoiter leurs cranes.
Pendant deux heures, Mayhem offre un panorama de son histoire trouble, musicale et personnelle. On commence avec des titres relativement récents, l'occasion pour le groupe de jouer MILAB ou de remonter vingt ans en arrière pour nous sortir Chimera du placard, deux morceaux assez rares. C'est dans sa seconde partie cependant que le concert atteint son paroxysme, quand le groupe se replonge dans son premier album avec Freezing Moon, De Mysteriis Dom Sathanas ou encore Funeral Fog (Attila cédant alors sa place à un enregistrement de Dead). Circle pit, slam : l'ambiance s'intensifie et n'est pas celle du concert de black typique. Sur un écran, le groupe projette des photos et autres archives. On y croise des visages familiers et, sans fausse pudeur ni révisionnisme, Mayhem assume son histoire et ses origines faites de suicide et de meurtre alors que défilent les visages d'Euronymous, Dead et Vikernes, entre hommage et préservation du folklore. Comme le veut la tradition, le concert s'achève en "bouclant la boucle" avec l'EP Deathcrush, première sortie officielle du groupe et joué presque en intégralité, l'intro de Conrad Schnitzler, passé notamment par Tangerine Dreams offrant alors une respiration bienvenue avant cette dernière tempête infernale.
Mayhem ne s'est pas moqué de son public. Avec un show généreux, long et relativement exhaustif, le groupe norvégien a offert un large panorama de son histoire à son public. L'occasion était donc idéale pour en apprécier les richesses... mais aussi de constater à quel point la folie des racines uniques et malades du projet continuent de nourrir nos cauchemars tant leur son révolutionnaire à l'époque reste unique aujourd'hui.