Il y a des lendemains de concert qui font plus mal que d'autres. L'affiche proposée hier par Garmonbozia à l'Elysée Montmartre, décidément devenu un très bel endroit depuis sa réouverture, était sans pitié : MINISTRY était de retour à la capitale avec dans ses valises les vétérans de TREPONEM PAL et le phénomène SHAÂRGHOT. L'annulation au dernier moment de GRAVE PLEASURES a fait grincer des dents, mais il faut admettre que le programme a de la gueule pour les amateurs de metal industriel bien gras qui racle les fonds de boyaux et cogne fort.
TREPONEM PAL
TREPONEM PAL se pointe sur scène un peu avant 19 heures alors il ne fallait pas être en retard. TREPONEM PAL qui partage l'affiche avec MINISTRY, ça fait quand même vachement début des années 90, une époque que les plus jeunes n'ont pas connue et que les plus vieux ont oubliée. Les décibels ça cogne sur les neurones et les riffs balancés par le groupe en arrivant sur Out of Reach ne sont pas tendres. Le line-up a forcément évolué au fil du temps, la formation actuelle envoie du gros son et y prend un plaisir évident. Marco, l'emblématique chanteur arrive après ses camarades et semble avoir la pêche. C'est qu'il serait presque souriant, même. En tout cas, il est plutôt en forme alors que le groupe enchaîne avec Planet Crash, un morceau qui date de leur come-back dix ans plus tôt. La première impression se confirme : les TREPONEM PAL sont remontés ce soir et la salle a beau être loin d'être déjà remplie, ça s'excite devant la scène. Alors évidemment, les années sont passées et Marco n'est pas du genre à cavaler sur scène, mais sa présence a quelque chose d'imposant, planqué comme il l'est derrière ses grosses lunettes noires et sous son bandana. On sent qu'il vaut mieux pas trop le faire chier le Marco, qui partage d'ailleurs avec Al Jourgensen cette espèce de présence très rock'n'roll, cette aura du mec qui en a vu de belles. Et puis la setlist a le bon goût d'aller piocher dans l'excellent Higher la très groovy Psycho Rising qui apporte un peu d'air entre les classiques plus pesants du groupe. On note aussi, à part la reprise de Planet Claire, l'absence de titres de leur dernier album, Rockers' Vibes. Un moyen de se concentrer sur les classiques, peut-être. Comme d'habitude, TREPONEM PAL achève son court set sur Excess and Overdrive histoire de resituer le contexte pour ceux qui n'ont pas suivi : dans les années 90, ils étaient les rois du metal industriel poisseux en France et les retrouver à l'affiche ce soir-là faisait sacrément plaisir.
Setlist :
01. Out of Reach
02. Planet Crash
03. Pushing You too Far
04. Psycho Rising
05. In Out
06. Planet Claire
07. Excess and Overdrive
SHAÂRGHOT
Petit à petit la salle se remplit alors que sur scène apparaissent les rangées de barbelés caractéristiques : SHAÂRGHOT, Gros phénomène des deux ou trois dernières années, arrive et ça va saigner. Retrouver la bande à l'Elysée Montmartre a une saveur toute particulière : après une première partie annulée avant PUNISH YOURSELF en décembre dernier, après un passage de 3TEETH à Paris où ils auraient été parfaits, ils ont enfin droit à leur grosse date en première partie. Et tant qu'à faire, autant ouvrir pour les maîtres du genre, non ? Il suffit de jeter un oeil aux tee-shirts dans la salle pour comprendre que SHAÂRGHOT a aussi sa horde de fans présents mais beaucoup ont découvert la tornade ce soir. Ils connaissaient pas SHAÂRGHOT ? Ils ont dû avoir un réveil pénible. Alors que le groupe attaque son set sur Black Wave, un nouveau titre déjà joué au Gibus il y a deux mois, on se rend vite compte d'une chose : ils sont faits pour les grandes scènes. Les musiciens occupent parfaitement l'espace, chacun ayant son rôle et son personnage, tous particulièrement charismatiques. Le Shaârghot gambade allègrement quand on lui laisse l'espace pour, et Scarskin Omega, cette silhouette masquée qui tape sur des trucs et se fait taper dessus, s'en donne à coeur joie également. D'habitude, c'est avec Uman iz Jaws jouée en deuxième que la fosse devient chaotique. Là, il faut un chouïa plus, le temps que les gens présents comprennent ce qui leur tombe au coin de la gueule. Dès Kill Your God, c'est parti pour les walls of death et autres festivités. Forcément, on est moins en famille que d'habitude, mais le show est tout aussi dément et le son a une ampleur qui rend enfin justice au boulot du groupe. Le délire metal-indus / cyberpunk totalement déjanté fait un triomphe et s'achève sur un slam du Shaârghot qui se retrouve porté de scène jusqu'au bar, loin au fond de la salle. Ou presque. Parce qu'il y a des marches juste avant le bar, et les marches c'est super casse-gueule. Si le concept d'escalier reste énigmatique, un truc était très clair ce soir-là : SHAÂRGHOT dans une grande salle, ça tue. Vue la fessée que ces fous furieux ont collé à l'Elysée Montmartre on espère les revoir très vite dans ce genre de configuration. Ce ne serait que justice.
Setlist :
01. Black Wave
02. Uman iz Jaws
03. Mad Party
04. Kill Your God
05. The Way
06. Traders Must Die
07. Doomsday
08. Break Your Body
09. Azerty
MINISTRY
On n'ira pas jusqu'à dire que passer après SHAÂRGHOT est compliqué : la plupart des gens présents sont là pour MINISTRY dont l'aura légendaire a traversé presque quarante ans. Et ce malgré une décennie d'albums oubliables, qui faisait déjà suite à une autre décennie d'albums moins aimés, avec notamment cette trilogie anti-Bush et un virage plus thrash metal. Malgré aussi ce concert parisien où Al, "présumé déshydraté" tombait par terre dès qu'il lâchait son pied de micro et était incapable de chanter plus de deux mots. C'était le Bataclan en 2012 et depuis le groupe n'était plus venu jouer à Paris à l'exception d'une date de "rattrapage" quelques mois plus tard. On ne va pas leur en vouloir pour cette absence, après tout ça fait dix ans qu'ils ont fait leur tournée d'adieu, hein. Le pire c'est qu'à l'époque on y avait cru ! Néanmoins, tel le phénix, MINISTRY a regagné une vigueur et une pertinence qu'on croyait perdue avec AmeriKKKant, l'élection d'un psychopathe orangé à la tête des Etats-Unis n'y étant sûrement pas pour rien. D'ailleurs deux immenses poulets anti-nazis à moumoute trumpienne ornent les bords de la scène. Allez, on y croit : ça va être trop cool.
Ils sont quand même vicieux chez MINISTRY. Démarrer un concert en balançant des vidéos de l'autre dingo sur un écran, c'est offrir à Trump les hurlements extatiques du public. Le gang prend place sur scène, le guitariste Sin Quirin cache le bas de son visage derrière un bandana, le bassiste Tony Campos est planqué sous sa capuche et Cesar Soto (guitare) derrière un masque de Guy Fawkes et ils en imposent à mort. Le décor gentiment anar du show est planté et l'enchaînement I Know Words / Twilight Zone / Victim of a Clown est le début parfait : non seulement c'est ce que MINISTRY a fait de mieux ces dix dernières années, renouant avec une certaine forme d'expérimentation, mais en plus ça permet à Al de jouer de l'harmonica. D'ailleurs, comment il va l'oncle Al ? Bah Al, il pète la forme. Il se balade, court, fait des grimaces et parcourt ce soir plus de kilomètres qu'il n'en a parcouru sur les scènes parisiennes ces dix dernières années. Il s'abrite derrière son pied de micro orné d'un squelette d'aigle, histoire de bien enterrer les symboles impérialistes jusqu'au bout, il ressemble à un sapin de Noël qui aurait mal tourné et il déchire tout, tout simplement. Manifestement heureux d'être là, complice avec son public, il nous demande ce qu'on "fout là au lieu d'être au pub à célébrer notre équipe de foot", imite avec talent la mouette sur So What et conclue même le concert en racontant que c'est leur dix-septième concert à Paris et que c'était le meilleur, avec le meilleur public. Bon, il ne se souvient peut-être pas des seize précédents, mais c'est vrai que c'était assez fou, qu'on n'avait pas vu MINISTRY dans une telle forme depuis un bail et que ce genre de messages probablement répétés tous les soirs est toujours trop mignon. Dans la fosse, on ne s'y trompe pas : ça pogote grave, les bières se renversent et le sol devient une patinoire. Le set suit le schéma habituel avec MINISTRY : une première partie où le groupe joue les nouveaux morceaux, ou issus des quinze dernières années (Señor Peligro, ça envoie du très très lourd) et un dernier quart avec que des classiques. Just One Fix, N.W.O, So What, Thieves, et ce rappel de folie sur Bad Blood, ou comment redonner de l'énergie à un public lessivé.
MINISTRY a tout cassé, mais les fondations avaient déjà pris très cher avec SHAÂRGHOT et TREPONEM PAL. Merci à Garmonbozia d'avoir organisé une soirée avec une affiche aussi judicieuse. C'est con, avec toutes ces courbatures on va rater le défilé du 14 juillet. Mince alors.
Setlist :
01. I Know Words
02. Twilight Zone
03. Victims of a Clown
04. Punch in the Face
05. Señor Peligro
06. LiesLiesLies
07. We're Tired of It
08. Wargasm
09. Antifa
10. Just One Fix
11. N.W.O.
12. Thieves
13. So What
Rappel :
14. Bad Blood