Nemost + Monolyth + Përl @ Backstage by the Mill - Paris (75) - 16 février 2024

Live Report | Nemost + Monolyth + Përl @ Backstage by the Mill - Paris (75) - 16 février 2024

Pierre Sopor 20 février 2024

En ces pages, nous vous parlons plus souvent de choses que l'on peut vaguement rattacher aux mouvances "gothiques" et industrielles et, finalement, rarement de metal pur et dur, du vrai, du avec des poils sur le dessus ET le dessous de la caboche et avec des gros riffs. Les scènes thrash ou death sont souvent loin de nos horizons principaux. Pourtant, par le passé, nous avons croisé à plusieurs reprises les routes de Nemost (mais aussi Monolyth), et c'était toujours avec un réel plaisir. Ces dernières années n'ont pas été tendres avec le groupe : outre la pandémie, évidemment, Nemost avait dû se séparer de son chanteur Arnold Petit. Mais c'est surtout le décès de son guitariste et compositeur Samuel qui nous avait profondément touchés. Comment continuer l'aventure dans ces conditions ? Eh bien, c'est impossible. Mais Nemost tenait à dire au-revoir comme il se doit, en honorant ce copain parti vers d'autres réalités, et a choisi de le faire en compagnie de Monolyth et Përl, recréant ainsi l'affiche de leur tournée de 2019 sous l’œil bien veillant de la Kave, organisateur à qui l'on doit notamment le merveilleux Kave Fest.

Përl

Des trois groupes, Përl est probablement le plus intense émotionnellement. Plutôt que la puissance des riffs, le groupe de post-metal va chercher l'impact poétique à grands renforts d'accalmies brutales et de textes récités en spoken word (récemment, nous avions d'ailleurs eu le plaisir de retrouver la chanteuse Aline sur scène en compagnie du groupe de post-rock Lorsque les Volcans Dorment, à qui elle apportait sa plume et sa rage le temps d'un titre). Éclats tempétueux et contemplations introspectives : Përl est une montagne russe à la fois intime et percutante, à l'image de L'Homme à l’Éléphant Blanc ou Varulv, où se côtoient éclaircies méditatives et tourments déchaînés. L'éclairage sobre apporte une certaine chaleur aux touches de black metal et la musique exige le respect et une retenue attentive. Ce grand huit émotionnel, Përl le cultive jusqu'à l'hommage rendu à Samuel : le groupe demande alors à l'assemblée d'allumer une lumière, n'importe laquelle pendant une parenthèse touchante où plusieurs smartphones ont illuminé la foule du Backstage by the Mill pour mieux, ensuite, faire exploser Je Parle au Sauvage et sa hargne cathartique, instant de libération sublimée par les quelques secondes qui l'ont précédé. C'était très beau, et déjà des nœuds se nouent au niveau des tripes.

Monolyth

Pour l'anecdote, la dernière fois que l'on avait vu Monolyth, c'était... le 17 février 2018. Le guitariste Julien Dijoux y fêtait son anniversaire et le groupe distribuait des masques à son effigie au public. Cette fois-ci, on n'est que le 16 et il paraît que ça porte malheur de fêter ça en avance, alors pas un mot, pas un masque. On constate que le line-up du groupe a bougé en six ans, avec un nouveau bassiste fraîchement arrivé, Crypp Mor, mais aussi la présence à la guitare de Larry de Serenius. Monolyth en live, c'est la promesse d'un bon mélange thrash / death mélodique qui attaque fort et d'une belle énergie, entre Amaury au chant qui semble monté sur ressort et alterne entre grou-grou de méchant et chant clair pour la dose d'humanité (Monolyth a toujours eu ce talent pour insuffler de l'émotion au milieu des riffs énervés) et les mimiques impayables des autres musiciens, tous très expressifs et généreux en grimace (dommage qu'on ne voit pas mieux les batteurs, hein, le leur n'est pas en reste). On parle souvent, un peu facilement, de cette "grande famille de metal" faite de doux dingue, de gaillards un peu bourrins au grand cœur. Si l'expérience des "tontons gênants" de cette grande famille dysfonctionnelle, entre comportements inacceptables et élitistes méprisants, nous fait parfois douter du cliché, Monolyth, comme d'ailleurs leurs camarades de jeu ce soir-là, redonne ses noblesses à la communauté. C'est puissant et mordant, le partage et la camaraderie bienveillante sont au centre de l'expérience, à l'image de ce "wall of calins" tendre et musclé à la fois, même quand le spleen de My Blackest Days, par exemple, assombrit l'horizon... où comment ajouter à la rage et la mélancolie une furieuse envie de vivre.

Nemost

Les tripes nouées, toujours. Avant que Nemost ne commence son set, une photo de Samuel orne l'écran qui cache la scène. Quand il se lève, le groupe est en place, prêt à en découdre une dernière fois : on le sent dès les premières secondes, il y a un truc spécial dans l'air. Ils n'ont pas joué en live ensemble depuis quatre ans, Arnold a retrouvé sa place au chant pour la der' des der', Larry de Monolyth (que l'on appelait alors Larry de Serenius, mais c'est le même Larry, très élégant, très Larry-stocrate) est à la guitare. On se souvient alors tout de suite pourquoi Nemost nous avait toujours fait forte impression en live : au death mélodique aux nuances progressives se greffent quelques accents gothiques pesants (Whisper, The Pale Observer). Surtout, il y a la performance en elle-même et ce line-up charismatique et communicatif. On sent qu'ils ont bossé le live, l'entente sur scène est palpable, les mouvements étudiés, et il en ressort une impression de cohésion, de puissance, un truc percutant et saisissant. Il y a les mimiques possédées de leur chanteur, les poses du bassiste Thomas et beaucoup de sourires, de complicité.

Les adieux prennent les allures d'un hommage aux plus de quinze ans d'existence du groupe, alors que d'anciens membres remontent sur scène : l'ancien guitariste Jonathan ou le chanteur Tim, que l'on connaît aussi dans un registre très différent avec le groupe de rockabilly metal Dead Bones Bunny, se joignent à la fête. Les anecdotes pleuvent ("celle-là, on l'a jouée pour la première fois en première partie de Leprous", frimeurs), les visages se succèdent et la célébration de ce petit bout d'histoire est aussi touchant que réussi.

Quand la soirée s'achève et que Nemost s'apprête à quitter la scène pour la toute dernière fois, les musiciens des autres groupes les rejoignent sur scène pour une chouette photo de famille et, surtout, conclure en chantant l'Histoire de la Vie (oui, oui, le Roi Lion, il y a pire comme épitaphe). Vu le contexte, forcément, l'instant prend une signification bien particulière. On était venus voir des métalleux, des vrais, des avec des cheveux (sauf le chanteur de Monolyth) et des barbes (sauf le chanteur de Monolyth), des qui font les gros yeux, la bouche en U inversé, les muscles, les sourcils qui font peur, les guitares qui font ta-da-da-da-da-da. On a vécu un moment de grâce, un truc touchant où cette bande de copains s'était réunie pour célébrer leur ami et son œuvre. On s'en souviendra longtemps, de cette précieuse fête de la vie, aussi sincère que rare, en communion avec un public de fidèles venus, lui aussi, rendre hommage. C'est l'histoire de la vie.