Il aura fallu s'armer de patience pour qu'enfin PERTURBATOR vienne poser ses synthés et ses pentacles sur la scène de l'Olympia, la date ayant été, comme tant d'autres, victime de report (merci à The Link Productions pour la persévérance et le maintien de la tournée). La perspective d'une soirée placée sous le signe de l'électronique sombre et hypnotique a été chamboulée par l'annulation de dernière minute de HEALTH, remplacé par REGARDE LES HOMMES TOMBER : vue la présence scénique du groupe de post-black metal français, on n'y perdait pas vraiment. L'Olympia, c'est la grande classe : c'est beau, c'est grand, c'est propre, on y respire bien, y'a au moins deux cents personnes souriantes pour s'occuper de la sécu, y'a des gradins, des toilettes plutôt clean et même des bières encore plus chères que les habituelles bières de concert. On serait presque inquiets de se faire refuser l'entrée si on a les cheveux un peu crades.
AUTHOR & PUNISHER
Heureusement, Tristan Shone installe tout son barda pour salir un peu l'atmosphère avec son "doom industriel". Depuis l'album Krüller sorti plus tôt cette année (chronique), il est accompagné sur scène par le guitariste Doug Sabolick et ils ne seront pas trop de deux pour remplir l'espace, surtout que Shone est engoncé dans les machines de sa propre confection. Heureusement, les lumières sont magnifiques et assurent le show pour la portion du public trop loin pour observer l'artiste et tout son attirail. AUTHOR & PUNISHER a mis de l'eau dans son vin et s'est orienté, petit à petit, vers une musique (légèrement) moins agressive et (légèrement) plus organique : le set est plus mélancolique que rentre-dedans et, en une petite demi-heure, fait la part belle aux titres du dernier album, à l'exception d'un gros Nihil Strength balancé en conclusion. Un choix audacieux, car si Krüller est un superbe album, il n'est pas d'une efficacité redoutable dès la première écoute et demande une attention et une implication à laquelle les premières parties ont rarement le droit. Vu l'accueil que lui réserve un public déjà bien présent (les débuts à 20h, c'est tout de suite mieux que 18h pour ne pas jouer devant une salle vide), Shone a eu raison. On ne l'avait jamais vu dans de si bonnes conditions techniques, c'était la méga classe, on en a pris plein les yeux et les oreilles même si, quelque part, on se dit que ce genre de musique passe aussi très bien dans des sous-sols glauques aux murs poisseux.
REGARDE LES HOMMES TOMBER
Changement d'ambiance radical avec REGARDE LES HOMMES TOMBER. À cinq sur scène, l'espace est bien occupé. Des volutes d'encens parfument l'Olympia et des chandeliers assurent presque seuls l'éclairage : c'est sombre, c'est beau, ça en impose et cette pénombre donne un parfum sous-terrain à l'ensemble, à l'image de leur musique. Tout particulièrement depuis l'album L'Exile, le black metal des nantais est puissant, indomptable et se teinte d'une mélancolie, d'un désespoir, d'une lourdeur et d'une forme de grâce rarement entendue dans le genre. Massif, étouffant, parfois primitif, parfois hypnotique et toujours majestueux, le concert prend aux tripes. Et quelle présence ! On avait laissé le groupe sur les immenses scènes du Hellfest, en plein jour, et c'était déjà incroyable. Dans la pénombre, ça vire au rituel, à la catharsis obscure et violente.
PERTURBATOR
Après les assauts d'AUTHOR & PUNISHER et de REGARDE LES HOMMES TOMBER, on anticipe déjà les nappes de PERTURBATOR et ce côté futuriste à la fois festif et sombre qui viendront panser les plaies encore ouvertes laissées par les premières parties. Deux bonshommes sur scène, re-belotte, mais placés sous une sorte d'arche ornée d'un pentacle qui clignote dans le noir. Avec un travail impressionnant sur les lumières, le dispositif est magnifique. Si REGARDE LES HOMMES TOMBER était dans la transmission d'émotions, PERTURBATOR est plus dans la création d'une atmosphère pour mieux nous plonger dans son univers retro-futuriste. On apprécie tout particulièrement l'évolution de l'artiste qui, après avoir tracé les contours d'un style, s'en est éloigné pour mettre l'accent sur la noirceur et la pesanteur jusqu'à sortir un album aux influences gothiques évidentes. Les hits plus anciens et colorés (Future Club, Perturbator's Theme, Neo Tokyo) aèrent le set avec leur rythme plus rapide, leur ambiance moins suffocante. Dans la pénombre, sous ce pentacle clignotant de mille feux, on se dandine, on transpire et on se croirait dans les bas fonds d'une mégalopole tentaculaire battue par la pluie (et pleine d'androïdes, hein, bien sûr). Ce que c'était bien !