Shaârghot + Carbon Killer + We Are Magonia @ Elysée Montmartre - Paris (75) - 3 novembre 2023

Live Report | Shaârghot + Carbon Killer + We Are Magonia @ Elysée Montmartre - Paris (75) - 3 novembre 2023

Pierre Sopor 7 novembre 2023 Pierre Sopor

Celle-là, on l'attendait de pied ferme : le retour de Shaârghot à Paris, sur la grande scène de l'Elysée Montmartre pour y présenter son nouvel album, ça s'annonçait forcément fou. Pourtant, la fête avait un arrière-goût amer et on est bien obligés de commencer par aborder le sujet qui hantait les conversations dans la file d'attente : l'absence de Punish Yourself, initialement prévu sur cette tournée. L'association de Shaârghot et des punks fluos en co-headline ressemblait à un fantasme enfin assouvi, la promesse d'une soirée salissante et bruyante comme on les aime sur fond de passation entre les Toulousains et leurs "petits cousins" mazoutés... C'était avant que de bien peu reluisantes histoires de violences sexuelles ne viennent mettre fin définitivement à la carrière de Punish, nous laissant un goût triste et amer dans la bouche. N'en parlons plus, les Shaârghot ont depuis bien longtemps prouvé qu'ils n'ont pas vraiment de rivaux sur scène et n'ont pas non plus besoin de béquille ou de sidekicks... la preuve : aucune annulation en vue et des dates tout de même bien remplies, malgré le changement d'affiche. Histoire de nous maintenir dans une ambiance futuriste et cyberpunk toute la soirée, Base Prod avait prévu We Are Magonia et Carbon Killer en apéritif.

WE ARE MAGONIA

Programmé au dernier moment et venu de Lyon, le duo We Are Magonia doit donc réchauffer le très vaste Elysée Montmartre. On connaît leur univers en studio, fait d'influences électroniques diverses (EBM, dubstep, darksynth, dark electro, musiques de films, etc), où la lourdeur prend des accents épiques et cinématographiques. C'est ce que l'on retrouve en live avec un set qui démarre sur le récent single Art of Violence, à la fois synthèse et apogée du son de We Are Magonia, histoire de faire les présentations en bonne et due forme et ne de pas traîner en route. C'est intense et l'on y retrouve tous leurs ingrédients avec lesquels on sera cuisinés pendant les minutes qui suivent, bien que l'on soit plus face à un DJ Set qu'à une présentation live des titres des albums récents, que l'on ne reconnaît pas forcément. Des grosses basses, des samples, des riffs synthétisés qui mordent fort : We Are Magonia cogne sans pitié. Face à un public pas forcément habitué à la musique électronique "en live", cependant, il y a un risque... Certes, leur triangle en néon pose un décor minimaliste et les deux musiciens se planquent derrière des masques, mais les profanes ont tout à fait le droit de trouver que la valeur ajoutée en live repose plus dans le volume auquel on se fait secouer que dans la spontanéité de l'échange, le spectacle ou ce genre de trucs associés aux performances plus "organiques". Pour le reste, en plus des assauts telluriques qui délient les jambes du public, on apprécie tout particulièrement le soin apporté aux mélodies. Elles évoquent aussi bien la SF que le cinéma d'horreur italien des années 70-80 et imposent une atmosphère parfois angoissante, parfois mystique, parfois presque mélancolique, véhiculant un sentiment entre la sidération et la terreur cosmique dont on est toujours friands, même quand on est là pour headbanger comme des Cro-Magnons.

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CARBON KILLER

En live, Carbon Killer n'a pas toujours été un one-man-band, mais ce n'est qu'un seul homme qui prend place sur scène ce soir. Si Carbon Killer partage avec We Are Magonia le goût du masque anonyme et mystérieux, sa scénographie est plus développée et immersive, avec de grands écrans qui transportent le public dans un univers futuriste pessimiste respectueux des codes dystopiques habituels (faut-il voir dans le nom du projet un lien avec Altered Carbon de Richard Morgan ? Si oui, vous feriez mieux de vous méfier de Carbon Killer, il serait du genre à détruire la pile stockant votre conscience !). La musique, elle, est la moins violente de la soirée. Carbon Killer suit les pas de Perturbator en créant des atmosphères sombres teintées d'une forme de nostalgie rétro-futuriste mais brise également les codes du genre en s'inspirant notamment des évasions oniriques du post-rock, un peu comme le fait Volkor X avec lequel il collaborait d'ailleurs sur son premier album. Le tempo est plus hypnotique que frénétique et on apprécie ce qu'apporte la guitare musicalement mais aussi visuellement : elle est parfois l'unique source de lumière dans les pénombres enfumées de l'Elysée Montmartre, en plus d'apporter à la performance un supplément de spontanéité qui aurait manqué si tout avait été synthétique.

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SHAÂRGHOT

Il y a cinq ans, Shaârghot envahissait déjà la scène de l'Elysée Montmartre en première partie de Ministry... et volait un peu la vedette au patron ! Cette fois, c'est en tête d'affiche et l'on ne peut que mesurer l'évolution du groupe de metal industriel : il n'y a plus de barbelés, mais il y a désormais jusqu'à huit personnes sur scène pour offrir un show qui n'a fait que gagner en puissance et en théâtralité, porté par des musiciens dégoulinant de charisme, chacun à l'aise avec son personnage. Shaârghot affectionnait les petites salles et leur énergie mais est taillé pour les grands espaces, ça ne fait aucun doute. C'est que ça aime gambader, ces bêtes-là. La plongée dans l'univers se fait dès les premières secondes quand retentit l'intro du magistral Vol III - Let Me Out (chronique) et ses samples anxiogènes. Les silhouettes inquiétantes des Mantis rôdent dans l'ombre et la fumée alors que les personnages de ce cirque furieux prennent place sur scène. Shaârghot est venu présenter son nouvel album, attendu pour le 1er décembre, et dont environ la moitié a été jouée. On n'a même pas le temps de remarquer les disparitions des "classiques" Mad Party ou Uman iz Jaws tant Great Eye, Red Light District ou Let Me Out ont pris leur place dans nos cœurs. Les nouveautés sonnent particulièrement bien et le constat est le même qu'en studio : Shaârghot a passé un cap, que ce soit dans la violence débridée comme dans les nuances, et a su repousser ses limites pour grandir, encore et toujours.

La performance est bien sûr jouissive : on en prend plein les yeux, c'est la tempête dans le public (la peinture noire cache les bleus, tant mieux !), les musiciens ne sont pas avares de leur personne (il suffit de voir les trognes tâchées de noir mais souriantes aux premiers rangs) et le concert vire au freak show monumental avec ses quelques respirations (Z//B) et une trame narrative qui se dessine, menée notamment par les pitreries de Skarskin, performer / cheerleader / souffre-douleur désigné. Avec sa proposition unique, Shaârghot a le sens du grandiloquent et de la mise en scène (on remarque à peine l'absence de pyrotechnie, l’Élysée Montmartre étant toujours tatillon à ce sujet depuis qu'un incendie l'a poussé à la fermeture pendant cinq ans), mais aussi du rythme : certes, ça attaque très fort et ça envoie tout le long, mais il y a également un crescendo palpable dans l'intensité et l'émotion. Le final nous trimballe de la mélancolie poignante s'extirpant d'Are You Ready et sa frénésie désespérée à la rage fédératrice d'Azerty et Shadows. Un concert de Shaârghot est un moment festif, où la violence est divertissante, plein de grimaces et d'humour noir. Mais au-delà des facéties, on devine aussi l'amertume, le désespoir et la solitude du monstre qui, derrière sa mégalomanie, laisse deviner quelques fêlures : cette grosse foire délirante en devient alors touchante et presque intime dans le chaos.

Avec son show ludique, ses influences explicites et sa générosité exceptionnelle, le groupe a marqué les esprits. Aujourd'hui, ce patchwork monstrueux faits de cauchemars divers et variés a imposé son identité et Shaârghot est devenu un phénomène assez unique en France, un monstre mutant bien plus fascinant que la simple somme de ses différentes parties. C'est fun et cathartique mais aussi plein d'une volonté d'offrir toujours plus au public. Forcément, pour ceux qui les ont connus tout petits, tout bébés, à trois sur des scènes minuscules mais déjà magnifiques, ça fait chaud au cœur. Mais le mieux dans tout ça, c'est qu'on est bien conscients que la tempête ne fait que commencer. On repense alors à cette dame, toute secouée, en fin de concert qui demandait "ils sont d'où ? je ne connaissais pas, c'était trop bien" : la vraie question n'est plus de savoir d'où ils viennent mais jusqu'où ils vont aller, et c'est ce chemin là qui est finalement le plus vertigineux !

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