Ah, le doux parfum des soirées black metal au Klub ! On se retrouve là, une centaine de personnes dans 30 mètres carrés, remplissant le ventre de ce haut-lieu de l'underground parisien. L'affiche avait belle allure : Silhouette, Skaphos et Versatile, soit trois propositions variées d'univers forts devant une assemblée de passionnés, curieux, bienveillants et respectueux. Les groupes méritaient au moins ça, ce sold-out et une audience attentive.
Versatile
Pour démarrer la soirée, les parisiens pouvaient découvrir pour la première fois Versatile, dont on vous a déjà vanté à plusieurs reprises l'univers. A quelques pas de ce qu'était le mythique Cimetière des Innocents et ses cadavres pourrissant à ciel ouvert ainsi que de Notre-Dame de Paris et sa Cour des Miracles, le décor est idéal pour le théâtre grotesque et monstrueux du groupe suisse. L'élégance cauchemardesque des costumes est à tomber et le jeu de scène étudié, chaque musicien incarnant un personnage qui donne vie aux histoires macabres des chansons. Le texte en français et cette façon de scander avec pesanteur sert également le propos, Hatred Salander servant à la fois de narrateur, de Monsieur Loyal et de bête difforme, prostré dans les ombres. Si les lumières étaient minimalistes ce soir (du rouge et... du rouge), le son était étonnamment propre, laissant vivre aussi bien le chant que les parties électroniques ou les petites mélodies glauques servant de transition, autant d'éléments qui donnent corps à l'univers. Côté spectacle, on a eu droit au type bourré au premier rang qui, une bouteille à la main, met le feu au bidon du batteur (le feu, c'est trop metôl, c'est comme rommchtougne !), les lentilles et masques des musiciens dissimulant probablement leur stupeur. On n'est pas contre un peu de chaos et d'imprévu, ça fera des souvenirs rigolos, mais le staff de la salle se serait certainement passé de cet instant de panique à chercher un extincteur dans la pénombre ! Versatile, manifestement, "met déjà le feu", comme le dit le cliché, et a tous les atouts pour marquer les esprits, grâce notamment à l'intelligente cohérence entre la musique, le visuel, le jeu de scène et le lore, jusqu'à la distribution de masques monstrueux au public pour l'immersion ! La prochaine fois qu'on les verra, on prend les paris : la scène sera plus grande, ou il ne sera pas aussi tôt !
Skaphos
Avec Skaphos, aucune étincelle n'est à craindre, le groupe plantant son décor océanique dès l'installation de pieds de micros ornés de tentacules, quelque part entre Lovecraft et Jules Verne. L'élément à l'honneur est l'eau et, bien qu'on ne fasse pas de fumée sans feu, le groupe plonge le Klub dans un brouillard opaque. C'est parfait pour l'ambiance : le sous-sol est plongé dans les abysses, au milieu d'une épaisse purée de pois qui rappelle les meilleures histoires de navigation, de vaisseaux fantômes et d'eaux tumultueuses pleines de créatures mystérieuses. On pense à Ahab, en plus agressif : ce chant guttural, tout en pesanteur, donne vie aussi bien aux fonds marins qu'aux immenses monstruosités que l'on aime imaginer ramper dans leurs sombres profondeurs. Le black metal, lui, apporte une touche spectrale à des compositions impitoyables qui, petit à petit, nous attirent au large et dont la lourdeur et l'intensité sont aussi asphyxiantes que la fumée dont le Klub est inondé. Le maquillage des musiciens, d'ailleurs, les transforme en naufragés victimes d'une obscure malédiction, leurs corps boursoufflés par les flots, rongés par les crustacés. On est dans les ténèbres, on étouffe, leurs riffs noient le public et nous entraîne loin de la surface, en un lien inconnu où la moindre lumière devient la menace potentielle d'un prédateur malveillant. Ouais, y'a pas à dire, l'océan, c'est vachement metal !
Silhouette
Silhouette aussi mettait les pieds pour la première fois à Paris. A voir le monde présent, il était plus que temps : il est désormais impossible de s'approcher des premiers rangs tant l'assemblée est dense, la scène est basse, le plafond aussi et la prise de photo devient impossible à l'exception de quelques portraits volés de loin. La prochaine fois, il faudra pousser les murs et leur trouver une plus grande scène ! On est en tout cas saisi par le rendu live. La sobriété du jeu de scène, dépourvu d'artifices ou d'accessoires grandiloquents, impose une élégance et une retenue propice à l'univers du groupe. Leur premier EP Les Retranchements (chronique) a déjà deux ans et l'alternance entre les deux voix d'Ondine et Yharnam est ce soir naturelle, organique, et on en apprécie tout partiuclièrement le délicat équilibre qui ne donne ni à l'un ni à l'autre le rôle principal. L'instant est à la poésie gothique, l'onirisme sombre et, bien au chaud dans les ombres de ce sous-sol, à l'introspection mélancolique. Leur black metal s'éloigne des clichés du genre pour laisser beaucoup de place aux mélodies, à l'atmosphère, et embrasser pleinement ses nuances aussi bien que ses contrastes. L'attitude du public, solennelle et proche du recueillement, convient parfaitement à la performance sous les voutes en pierre : avec sa maîtrise du clair-obscur, Silhouette nous coupe du temps, comme par magie, pour nous perdre dans ses sombres rêveries. C'était très classe et avec un second album en route, Silhouette ne devrait pas tarder à revenir hanter nos nuits.