Wardruna + Jo Quail @ Salle Pleyel - Paris (75) - 9 novembre 2024

Live Report | Wardruna + Jo Quail @ Salle Pleyel - Paris (75) - 9 novembre 2024

Pierre Sopor 12 novembre 2024

Wardruna était de retour à Paris et, fidèle à ses habitudes, ne jouait pas n'importe où. Après l'Olympia il y a deux ans, Einar Selvik et sa troupe se produisaient sur la célèbre scène de la salle Pleyel le temps d'une soirée organisée par Garmonbozia. Là-bas, le staff est aussi beau que le luxueux quartier qui l'entoure, tout le monde est propre et vous dit "bonjour monsieur, bonjour madame" avec le sourire et les bières se dégustent près du bar mais certainement pas dans la fosse. Il y a de quoi se sentir intimidé mais voilà qui pose le thème de la soirée à tous les niveaux : l'élégance est de mise. On se tient droit, on essaye de ne pas trop se demander de quand date notre dernier shampoing, on dit bonjour au monsieur et à la madame... Surtout, on prend note : manifestement, les vikings savent aussi se tenir quand ils sont en société. On les comprend, quand on débarque de son drakkar pour se retrouver à Pleyel, tout de suite, on se sent un peu rustique et on évite de trop la ramener. 

JO QUAIL

Avant le rituel Wardruna, la fantastique violoncelliste Jo Quail imposait déjà un certain recueillement. À force d'assurer des premières parties à Paris, les locaux la connaîssent. "Je l'ai vue avant Alcest", "ah, moi je l'ai vue avant Amenra", "elle était pas au Hellfest aussi en 2019 ?" : le public murmure, échange ses expériences et anticipe l'arrivée sur scène de la musicienne. Le décor est déjà planté pour Wardruna et elle doit alors trouver une place entre les projecteurs-torche, les retours et tout le tralala. 

La musique de Jo Quail est faite pour être vécue en live. On l'a connue plus rentre-dedans par le passé, avec des influences progressives et metal plus marquées. Ces derniers temps, la britannique s'essaye à des choses plus atmosphériques, voire expérimentales. Le set de ce soir était plus introspectif qu'il y a quelques années, plus dans l'esprit global de la soirée, bien que les morceaux joués ne dataient pas forcément d'hier.

Comme d'habitude, elle impose un silence respectueux que nulle n'ose briser, son archet faisant autorité. Quand elle le brandit, le temps s'arrête. Les yeux clos, elle tisse une musique à la fois onirique et mystique, créant une bulle intime qui petit à petit enfle pour englober toute la salle. Les morceaux durent dix minutes, elle n'en joue que trois. C'est aussi beau qu'épique, trépidant même. Leur construction s'empare au fur et à mesure de notre souffle, que l'on retenait de toute façon poliment. On est à Pleyel, on ne va pas se mettre à haleter comme des veaux.

Apaisant ou tempétueux, à l'image de la mer qui inspire Adder Stone en conclusion, le set est magique. On repense alors à ces gens qui racontaient avoir déjà eu la chance d'entendre la musique de Jo Quail lors de telle ou telle première partie : et si, la prochaine fois, c'était en tête d'affiche, comme une tournée annulée par une fichue pandémie nous l'avait laisser espérer il y a quelques années ? On adorerait la voir arrêter le temps un peu plus longtemps !

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WARDRUNA

Il y a plusieurs raisons de taquiner respectueusement Wardruna. On peut trouver que la scénographie n'évolue pas vraiment depuis quelques années. On peut s'amuser d'un spectacle qui tourne beaucoup autour du maître de cérémonie Einar Selvik (qui a tout de même un trône, le temps d'un morceau). On peut aussi se lasser d'une mode pagan / nordic folk et ses cohortes d'imitateurs qui reproduisent en boucles quelques sonorités restreintes. Wardruna sur scène reste cependant non seulement la promesse d'un concert d'une classe folle mais aussi d'une musique aussi subtile que viscérale. Avec les années, les Norvégiens, et leur démarche sincère dont le coeur reste la recherche musicale, sont finalement la meilleure antidote à toute la mode tapageuse des adorateurs d'Odin opportunistes qui se contentent de quelques percussions martiales et de jolis costumes pour entourlouper les foules.

Le groupe est actuellement à cheval entre deux albums : Kvitravn a plus de trois ans et son successeur Birna approche mais n'est pas encore sorti de sa tanière. Le set a donc des airs de fin de cycle alors que nous avons à nouveau droit à cette entrée en matière sur le morceau-titre du dernier album que l'on échangerait contre rien au monde, aussi poétique qu'hypnotique. Derrière les musiciens statiques, leurs ombres décuplées sont projetées et s'animent. Ces silhouettes géantes, jötunns de la mythologie nordique, nous plongent dans un univers fantasmagorique, une réalité autre : voici le temps des récits intemporels et immémoriaux et des esprits sauvages.

Si sur scène les corps s'animent peu, ils imposent une solennité et une sobriété qui sert la propos. Wardruna, ce n'est pas la foire à la saucisse. On n'y va ni pour beugler "skol" en brandissant sa corne à boire, ni pour imiter des cris d'animaux. Pourtant, malgré une apparente austérité, les jeux de lumière théâtraux donnent à la soirée son mystère, son romantisme, sa poésie, sa folie aussi quand, lors d'une transe sous stroboscopes, les ombres mutent en spectres paniqués. L'équilibre est juste et, en économisant ses effets pour mieux nous les servir au moment opportun, Wardruna réussit à ne jamais atténuer la puissance de son spectacle. Tout n'en ressort que mieux et l'on admire, les yeux écarquillés, ces jeux de lumières évocateurs. 

C'est, comme d'habitude, d'une beauté sidérante. Les lamentations poignantes de Selvik, skald mélancolique et charismatique, se concluent parfois d'un grognement primitif impressionnant. On savoure la recherche, la variété des sons, le refus encore une fois du spectacle facile et des gimmicks tapageurs paresseux. Sombre et sans âge, à l'image de la récente Hertan, des incantations funèbres de Runaljod, de cet instant où Selvik seul interprète Voluspá dans la pénombre d'une salle sous le charme ou de Helvegen et ses profondes pulsations, la musique de Wardruna est un rituel qui invite à la rêverie.

Certes, pour les initiés, on ne pourra pas parler de surprise. Comme tout bon rituel, un show de Wardruna est codifié. L'offre est cependant unique dans son aboutissement et son élégance : et si finalement, encore plus que sa très belle scénographie, ce que l'on préférait chez Wardruna était cette intelligence de laisser au spectateur l'espace pour y transposer son imaginaire ? Avec sa poésie, le groupe donne vie à des images et des symboles mais surtout éveille des choses enfouies et obscures que chacun peut prendre le temps de contempler et leur offre l'espace nécessaire pour vagabonder et respirer.

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