WATAIN et ABBATH qui décident d'arpenter l'Europe main dans la main ? On imagine le tableau : les zozos peinturlurés gambadant avec insouciance dans les champs du Vieux Continent, jetant derrière eux pétales de fleurs et sourires niais sous le soleil couchant et les gazouillis guillerets de quelques piafs. D'ailleurs, à voir la tronche du public qui s'amasse dans la salle, c'est clair que ça allait gazouiller avec grâce. TRIBULATION et BØLZER complètent la belle affiche d'une tournée qui démarrait à Paris dans l'élégante enceinte de l’Élysée Montmartre grâce au travail toujours inspiré de Garmonbozia, l'organisateur. Nous y étions pour recevoir notre dose vitale de rituel blasphématoire, d'yeux exorbités, de cheveux gras et de ténèbres.
BØLZER
Il n'est pas tout à fait 18h quand BØLZER doit commencer son set face à un public déjà bien présent malgré l'horaire matinal. BØLZER en amuse-gueule, c'est une bonne idée, ça met tout de suite dans l'ambiance. En théorie. Au moment où le concert devrait commencer, le groupe est encore coincé par des balances interminables. Okoi Thierry Jones, le chanteur du duo Suisse, contient poliment sa frustration et son impatience. Après avoir soufflé un "avec un peu de chance on arrivera quand même à jouer un titre pour vous, Paris", le concert commence. "It's a fucking nightmare" déclare-t-il. Ambiance. Le mélange atypique de black et de death du groupe n'est pas rigolard, mais la fameuse boule au ventre de l'expression a des airs de boulet de démolition. Deux types sur scène, pas de maquillage, pas de décor, un show lumière réduit au minimum, un set amputé : BØLZER est à poil et ne triche pas. C'est lourd, violent, et la musique nous coule dans la gorge comme un épais marécage de béton. L'apéro n'est pas encore fini, il reste trois groupes, mais la grosse claque de la soirée, celle qui fait mal et étourdit, a été distribuée par ces deux bonshommes.
TRIBULATION
TRIBULATION est un groupe atypique. Son death metal mélodique aux accents mystiques pioche également dans les 70's, ce qui se ressent dans le look des musiciens. La déco et les lumières se chargent de poser l'ambiance, les guitaristes Adam Zaars et Joseph Tholl assurent le show avec leurs poses et grimaces... Ceux qui craignaient que TRIBULATION ait du mal à survivre au départ de Jonathan Hulten ont pu se rassurer avec Hamartia, le premier morceau réalisé par le groupe sans son emblématique ex-guitariste. L'esprit est toujours là, l'élégance des mélodies fait mouche et le groove n'a pas faibli, même si visuellement son absence se fera encore sentir un petit moment (question charisme, Johannes Andersson, irréprochable au chant, ne peut pas combler le vide). Une des grandes forces de TRIBULATION est de réussir à rester fidèle à sa "touche" sans non plus se répéter, tissant et développant année après un année son univers singulier et fascinant. En live, le sortilège a la classe, touchant à la fois le cœur et l'esprit des fans. TRIBULATION était la parenthèse classieuse et sophistiquée de la soirée et c'était très chouette.
ABBATH
On va voir ABBATH comme on écoute son dernier album : partagé entre le respect pour l’œuvre de cette icône et un brin de cynisme. Il faut dire qu'avec sa gestuelle faite de grimaces, ses postures grotesques et ses croassements, il amuse plus qu'il ne fait frissonner. En live, c'est un peu à pile ou face : parfois, il n'en a rien abbath, à moins que s'abbathrie ne soit à plat, en tout cas, il arrive que ça ne casse pas troabbath à un canard. Petit miracle ce soir : ABBATH est en forme, il a l'air content d'être là et partage son enthousiasme pendant que ses musiciens tirent une gueule d'enterrement de rigueur. Il cavale, il prend sa pose de canard, il tire la langue et se recoiffe encore et encore, certes, mais son mélange de rock'n'roll rentre-dedans (l'ombre de MÖTÖRHEAD plane parfois) et de black metal est à la fois divertissant et attachant. Pour les frissons, il faut attendre la fin du set et l'ambiance qui se refroidit quand il va piocher dans le répertoire d'IMMORTAL (In my Kingdom Cold, Beyond the North Waves et Withstand the Fall of Time). On ne savait pas trop à quoi s'attendre et ABBATH a offert une parenthèse décomplexée à la soirée, étrangement décalé et cool.
WATAIN
Changement radical d'ambiance, du moins en apparence. Fini les pitreries, fini la bamboche : les chaines, l'autel et les ossements prennent place sur scène. WATAIN approche. WATAIN en live, c'est la garantie d'une performance mémorable... surtout que le récent The Agony & Ecstasy Of Watain est le meilleur album du groupe depuis une bonne dizaine d'années, facile. Impossible cependant de ne pas ressentir une pointe de déception : pas de pyrotechnie ce soir. Il faut croire que le feu reste un sujet brulant à l’Élysée Montmartre, fermé cinq ans à cause d'un incendie. On comprend bien sûr les restrictions propres à certaines salles mais forcément le show perd inévitablement en majesté. Heureusement, WATAIN a toujours la flamme : il suffit de voir le regard possédé de Danielsson, frénétique. Quand il n'est pas occupé à rouler des yeux ou taper des pieds comme un dément, il s'agenouille devant son autel pour apporter au show sa touche mystique. WATAIN reste WATAIN : exubérant, sauvage, ésotérique... Et aussi rock'n'roll dans l'âme, son black metal conquérant ayant hérité de BATHORY ou VENOM un goût du groove et de l'efficacité. Entre cavalcade de horde inarrêtable et rituel blasphématoire, ça avait sacrément de la gueule.