Zeal & Ardor + Dom Zły @ Elysée Montmartre - Paris (75) - 23 mars 2025

Live Report | Zeal & Ardor + Dom Zły @ Elysée Montmartre - Paris (75) - 23 mars 2025

Pierre Sopor 26 mars 2025

Zeal & Ardor a très vite suscité la curiosité et su attirer l'attention avec son mélange de blues / gospel / black metal qui, au-delà de l'expérience ludique, est accompagné d'un propos malin : et si, dans les plantations, les esclaves venus d'Afrique s'étaient tournés vers le démon plutôt que le dieu de leurs maîtres ? Ainsi, le fond justifie la forme et le ton est donné : Manuel Gagneux, l'alchimiste à l'origine du projet, place la révolte au cœur de la démarche et répond de la plus belle des manières au défi que, raconte la légende, lui lançait il y a plus de dix ans un troll sur internet : mélanger "musique de nègre" et black metal. Si cet individu avait su alors quelle étincelle il allait allumer avec sa formulation crétine... Désormais incontournable, le groupe suisse jouait à l'Elysée Montmartre le temps d'une soirée organisée par Veryshow.

DOM ZŁY

"Si ça joue en première partie de Zeal & Ardor, c'est que ça doit groover, non ?". Héhé, ouais, c'est ça. Comme les larmes des petits enfants, l'espoir naïf du public non averti a toujours un goût aussi délicieux. Très vite, le groupe polonais donne le ton : nuages de fumée, éclairage froid et mur de son. Ceux qui pensaient déjà sortir leur meilleur déhanché en tapant dans leurs mains peuvent les garder encore un peu dans les poches, avec en bonus l'option "regard triste vers le sol et âme broyée par l'absurdité de l'existence".

La musique de Dom Zły a la saveur bien particulière du bol de tessons de verre qui nous écorche les tripes avalé un dimanche après-midi pluvieux. Il y a la lourdeur et l'agressivité des influences sludge et black metal mais également une mélancolie de tous les instants incarnée sur scène par la chanteuse Ania Tru. Ses cheveux dissimulent son visage et elle se tient plus souvent accroupie que debout, comme si se tenir droit face au poids de la vie était insoutenable.

Affliction, noirceur et tourments viscéraux : Dom Zły n'épargne pas son public. C'est quand les morceaux laissent le plus de place aux plages atmosphériques, moments d'introspection idéaux pour contempler nos ruines intérieures et mieux s'y perdre, que l'on est le plus séduits. Là, dans le noir, on se délecte alors d'un final qui enchaîne Nie pamiętam siebie et Ku pogrzebaniu serc , épique conclusion crépusculaire de leur album éponyme. On en ressort ratatiné : ça n'a duré qu'une demi heure, mais c'était assez pour ne laisser que poussières et cendres... et peut-être que plus aurait été de trop pour ceux qui frétillaient d'impatience à l'idée de pouvoir, enfin, taper dans leurs mains !

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ZEAL & ARDOR

Il leur faudra pourtant encore patienter un peu. Amusante (et déjà fascinante) curiosité à ses débuts, le monstre Zeal & Ardor a aiguisé ses crocs et alors que le groupe arrive sur scène, les visages cachés comme d'habitude sous leurs capuches, le son n'est pas encore à la fête cathartique : avec le temps, le propos s'est fait plus explicite et the Bird, the Lion and the Wildkin est une montée en tension pré-apocalyptique lourde de menaces. Manuel Gagneux a beau dégager une sympathie rare avec ses immenses sourires qu'il adresse entre les morceaux à son public, il a les crocs. Wake of A Nation, sorti après le meurtre de George Floyd à Minneapolis en 2020 et dont le titre semble faire être un écho revanchard au mythique film Birth of a Nation de Griffith (et ses amitiés troubles avec le Ku-Klux Klan) soigne le crescendo avant que toute la tension ne s'évacue lors de l'explosion de Götterdämmerung, enfin.

Alors que le fascisme et les replis identitaires sont de nouveau à la mode, Zeal & Ardor nous apparaît tout particulièrement pertinent. Cependant, Manuel Gagneux n'a pas besoin de grands discours sociaux ou politiques car la musique parle d'elle-même alors que ses morceaux, "cools et sympa" en studio, se transforment en boulets de démolition en live. Avec ses deux choristes, la puissance dégagée impressionne et tout semble plus fort, plus lourd, plus furieux. Comme d'habitude, si le groupe se présente sobrement en piquets alignés, dégageant une force monolithique immuable, Denis Wagner est une tempête à lui tout seul sur la droite. Les capuches tombent, on sue à grosses gouttes.

Après avoir fait le tour de son concept initial en trois albums, Zeal & Ardor se lançait avec GREIF (chronique) dans des explorations toujours plus avant-gardistes, au point peut-être d'un peu se disperser et de nous perdre parfois en route. Cette créativité et ce refus de stagner, passionnants et symbolisés par le griffon qui ornait sa pochette (ce monstre fait de plusieurs morceaux pris ici et là) prend tout son sens en live. Les nouveaux titres viennent apporter du relief à une setlist qui, sans eux, pourraient parfois donner une sensation de répétition, de routine dans l'alternance "chœurs gospel" / "passages metal énervés". Le show en est plus imprévisible, plus fou, plus varié, moins mécanique.

Alors que l'Elysée Montmartre est en ébullition, remué par une interprétation possédée, certains moments se dégagent tout particulièrement. La sinistre Ship on Fire, les incantations de Blood in the River qui résonnent avec une puissance telle qu'on se demande comment les murs de la salle ont tenu, un Death to the Holy irrésistible suivi d'un Devil is Fine libérateur aux touches black metal atmosphériques plus appuyées qu'en studio... Et surtout ce Don't You Dare phénoménal, à l'impact décuplé par rapport à sa version studio pendant lequel Gagneux hurle un "ON Y VAAAA !" venu des abysses : Zeal & Ardor est une tempête.

Le chanteur, fidèle à lui-même, nous offre quelques rares paroles, à la fois discrètes et chaleureuses : "Paris !....Je ne parle plus, que de la musique !" lache-t-il alors dans son français quasi parfait (on adore tout particulièrement ses "poutain !" qu'il multiplie avec enthousiasme) avant de lancer un rappel généreux de cinq morceaux. C'est une habitude chez lui : la musique parle à sa place. On rigole, il est attachant ce gaillard, avec sa tignasse, son regard doux et ses cris de démons. Plus expressif, il se marre quelques minutes plus tard face à son audience déchaînée : "Paris, vous êtes incroyables ! Et ÇA, c'est un dimanche pour vous ?! Poutain !". C'est vrai que c'était le chaos dans la fosse et qu'il y avait des bras et des jambes dans tous les sens, et pas toujours dans l'ordre attendu.

Comme à chaque fois, on a alors hâte de voir jusqu'où ils iront. Du concept d'origine, toujours aussi réjouissant, le groupe a évolué vers un truc hybride dont GREIF n'était probablement que les premiers pas encore timides et parfois maladroits. On pourrait s'attendre à un final conciliant, à un hymne fédérateur. Tu parles ! Clawing Out, sinistre cauchemar aux touches industrielles bruitistes et techno a pour nous des airs de promesse : à l'avenir, Zeal & Ardor n'a pas prévu de devenir plus docile. Génial !

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