Chronique | A.M.E.N. - Argento

Pierre Sopor 13 janvier 2025

Avec son premier album, le groupe italien A.M.E.N. se servait des facéties ésotériques d'Aleister Crowley pour donner à son jazz avant-gardiste une teinte occulte mystérieuse. Pour leur second album, Vittorio Sabelli (Dawn Of A Dark Age, Incantvm), Erba del Diavolo (chanteuse du groupe de doom occulte Ponte Del Diavolo) et leurs compagnons changent quelque peu d'approche. Le titre de l'album, Argento, laisse peu de doute : le mythique réalisateur de Suspiria, Profondo Rosso et Inferno leur sert ici d'inspiration alors que l'album propose moins de morceaux, mais plus longs.

Le résultat est forcément moins épars. On comprend très vite que cette fois A.M.E.N. assume un certain classicisme et soigne ses atmosphères plutôt que de se lancer fiévreusement dans les folies dissonantes du free-jazz. Un piano élégant, des cuivres épais, une clarinette brumeuse, une pesanteur enfumée :  on se croirait plus à la Nouvelle-Orléans que dans un giallo. D'ailleurs, n'attendez pas d'excès de synthétiseurs ou d'expérimentations progressives "Goblinesques" à la Claudio Simonetti (ce qui n'empêche pas les touches baroques de l'hypnotique Magia d'en avoir quelques ombres) : A.M.E.N. laisse au placard son background metal et se plonge dans un mélange jazz / blues aux expérimentations plus tournées vers le passé que les délires psychédéliques.

Pourtant, il suffit à Erba Del Diavolo, "l'herbe du Diable", de poser sa voix pour donner aux morceaux leur teneur mystique et incantatoire. Brindisi plante le décor : répétitions, lourdeur... Les ingrédients du doom sont là, à l'exception des guitares saturées. Le jazz d'A.M.E.N. est sombre, menaçant, parfois opaque et une forme de mélancolie s'installe alors que les morceaux se déroulent comme des histoires sinistres racontées en italien. On se dit parfois que ces rituels obscurs ont plus leur place dans un film noir des années 50 que chez les fulgurances colorées 70's de Dario, mais cela n'enlève rien à leur charme.

Après tout, il y a des cadavres, il y a meurtre, il y a mystères. Ce sont les titres qui nous le disent. Ambiance de polar nocturne aux relents occultes : on se perd dans ces longs morceaux énigmatiques comme on se retrouve à errer dans les rues tortueuses d'une ancienne ville européenne plongée dans le brouillard, guidé par les soubresauts de la contrebasse d'Omicidio. Aucun doute, une menace sans visage rôde dans les ombres. Existe-t-il plus giallesque ?

Argento est un album qui sait donner à son atmosphère intimiste une touche théâtrale. L'album a le parfum d'une séance de spiritisme dans un salon cosy, d'un bouge mal famé où l'on joue aux cartes avant d'y lire son destin funeste, d'une ruelle biscornue humide et déserte de laquelle surgit une silhouette portant des gants de cuir. Une mandoline pour les touches latines, de l'orgue pour le grandiose : A.M.E.N. étoffe sa messe de différentes nuances, kaléidoscope oppressant et hanté.