Chronique | Anastasia Minster - Song of Songs

Franck irle 4 novembre 2024

Tournez le bouton et ajustez l'horizon avant l'occurence de l'inévitable contrainte du quotidien. En ce bas monde, rien n'a presque changé. L'industrie du disque a abandonné désormais sa foi moderne en décidant de ne pas signer des artistes en dehors de l'entre-soi. Quelle fatalité nous a poussés à vouloir ériger des mastodontes qui ne sont qu'au final des feux de paille ? Sauf que la beauté existe et qu'il faut la dénicher. Démonstration avec Song of Songs de Anastasia Minster.

Une synthèse particulière de nombreuses formes d'art.

Anastasia a pris conscience de toute une réalité sur laquelle s'enracine la création artistique. Réalité parfois contraignante, traversée de contradictions difficile à surmonter, ces antagonismes par leur existence sont une marque de vitalité. De son amour immodéré pour le piano, elle enregistre un premier long format pour le label Reverb Worship (Hour of the Wolf) avant de passer à l'autoproduction avec la parution du fantastique Father paru en 2020 qui nous aiguillait déjà vers une musique symphonique, hautement captivante. 

Il n'y a ici qu'une beauté qui mérite qu'on s'attarde, l'oreille penchée à chaque mesure, chaque seconde. En huit titres et dans un format ramassé, Song of Songs est une œuvre romantique entichée d'une mélancolie d'une densité émotionnelle loin des sempiternelles litanies théâtrales déclamées par tout un arsenal d'artistes en mal d'inspiration. Inspiré du cantique des cantiques et des textes de Hermann Hesse, chaque composition est une confidence poétique. Il faut mentionner les musiciens conviés à inscrire leur empreinte mélodique, pas moins de trente intervenant(e)s, d'où cette pâte soyeuse de cordes raffinées qui nous invitent à fermer les yeux (Dancing with a Ghost). On entre dans cette musique comme dans une eau tiède où à la surface perlent des fleurs nimbées de parfums capiteux et ensorcelants, dont même Coals of Fire sublime l'expérience. Une musique somptueuse et langoureuse sans temps mort, on tombe éperdument en pâmoison de cette voix comme venue du ciel. Déjà Father était un ascenseur, ici Song of Songs nous mène directement aux cimes d'un palais lumineux, à la rencontre du Wolf of the Steppes (cf Hermann Hesse). Le soleil décline, nous ne sommes désormais plus seuls, le ciel se promène parmi nous et cet ailleurs se joint à nous, nous sommes au début d'un voyage. La musique de Anastasia imprime les cieux de motifs et de lignes floraux pareils à des astres inatteignables.

Song of Songs a bénéficié du soutien du Canada Council for the Arts and Toronto Arts Council. Ce qui en dit long sur le contenu de ce disque déjà sacré.