Chronique | Bank Myna - EIMURIA

Pierre Sopor 23 avril 2025

Bank Myna est un trésor. Comme tous les trésors, le groupe francilien est rare, nimbé de mystères... et surtout se mérite. Quelques apparitions oniriques sur scène depuis la sortie de Volaverunt, un premier album fascinant, l'ont confirmé : ce n'est ni en saturant l'espace ni en fonçant à toute allure que ces quatre-là ont décidé de marquer les esprits. Bank Myna tisse une toile dans laquelle, plutôt qu'être piégé, l'auditeur trouve un cocon confortable qui l'isole agréablement du monde extérieur. C'est donc avec une anticipation réelle que l'on attendait leur second album, EIMURIA. Déjà, on est intrigués : quel drôle de nom ! Du haut allemand ancien pour dire braises, Bank Myna explique. "Un morceau de charbon ou de bois incandescent qui se consume lentement, vestiges d'une émotion qui s'estompe, la chaleur avant que le feu ne prenne ou les traces laissées par les flammes" : voilà qui donne, déjà, une idée de ce que sera EIMURIA.

Chez Bank Myna, le temps a toujours été une composante essentielle : contrairement à la peinture ou la sculpture par exemple, la musique est un art qui repose sur le temps. Le quatuor a pour habitude de le suspendre, de l'étirer. Pourtant, il ne leur faut que quelques secondes pour capter notre attention avec les premiers instants de No Ocean of Thoughts : une épaisseur tellurique, un magma sonore qui frôle le drone, puis une voix spectrale qui émerge du silence. A moins qu'elle ne le provoque, quasi religieux. On se recueille. Le son devient une matière que l'on peut presque palper et que le chant vient hanter. Matière et fantômes, comme sur le superbe artwork : il ne s'agit plus seulement d'équilibre mais carrément de suspension. Suspension entre deux états, suspension du temps, et, déjà, une hauteur annonciatrice soit de plongée vertigineuse, soit d'élévation planante.

Si le crescendo que l'on devine semble appeler une descente vers un doom viscéral, Bank Myna nous mijote et il faut attendre une dizaine de minutes pour que EIMURIA, au cours de la magistrale The Shadowed Body, ne s'embrasse pour de bon. Ils ont joué avec nos nerfs, imposant une tension mystique, une atmosphère opaque hypnotique pour mieux nous trimballer le long de leurs explorations cathartiques. Pour trouver le trésor, il faut passer les épreuves : la musique de Bank Myna est comme un jeu de piste, à la fois labyrinthique et ludique. On prend plaisir à s'y perdre, à tourner en rond, à errer dans ses pièces abandonnées remplies de souvenirs cachés par la poussière, à ne plus savoir si l'on est déjà passés par là où si quelque chose d’imperceptible a changé. Avec sa poésie, sa mélancolie, ses jeux sur les textures, son approche qui invite à une forme de recueillement ésotérique et sa quête du sublime aux airs d'exorcisme, Bank Myna évoque tantôt Messa, tantôt Anna Von Hausswolff.

Les braises : la métaphore est décidément pertinente. Avec les étiquettes "post-truc" et les morceaux de dix minutes, on peut toujours craindre une tendance à la complaisance trop cérébrale. Encore une fois, Bank Myna ne se perd jamais dans le piège narcissique d'étirer pour rien. EIMURIA est un album qui, même dans ses tourments les plus tumultueux où l’âme semble arrachée violemment au corps (l'incantatoire Burn All the Edges ou les quelques tourbillons apocalyptiques de L'Implorante, un morceau dédié à Camille Claudel dans un geste synesthésique absolument pertinent tant la musique évoque ici aussi bien des couleurs qu'une matière concrète), dégage une chaleur accueillante. Les ombres sont éclairées par la flamme d'une bougie et le son, organique, profondément humain et immersif nous invite à leurs côtés plutôt que de chercher à nous oppresser. Les spectres qui dansent ici ne sont pas effrayants : ils sont juste une autre version de nous, peut-être passée, peut-être à venir. L'auditeur, lui, se laisse porter de rêveries en rêveries.

Bank Myna, sans perdre de sa richesse ni de son pouvoir de fascination, propose un second album un tantinet plus dense que le précédent, ce qui lui confère une intensité nouvelle, un supplément de nervosité même, et le rend moins hermétique. On sort alors d'EIMURIA comme on sort d'un rêve ou d'une transe. Est-ce que tout cela s'est vraiment produit ? On en porte encore les traces en nous sans pour autant réussir à mettre la main dessus. Pour vérifier, il faut alors s'y replonger : ce mélange entre doom atmosphérique, dark rock et "trucs post-machin" est aussi séduisant qu'obsédant.