Chronique | Bill Leeb - Model Kollapse

Pierre Sopor 11 septembre 2024

La dernière fois que Bill Leeb avait sorti un album en "solo", c'était au milieu des années 80. Au cours des quarante dernières années, l'artiste a traversé les musiques électroniques et industrielles en touchant à tous les genres via ses différents projets (Frontline Assembly, Cyberaktif, Noise Unit, Delerium, un peu de Skinny Puppy entre 1985 et 86...) : metal industriel, EBM et même dubstep et synthwave ont ainsi été "Leebisés" rien qu'avec FLA. Cependant, ici, "solo" ne veut pas dire isolé : en coulisse, Rhys Fulber n'est jamais loin et s'occupe ici de la production et de l'enregistrement avec Dream Duo et le fidèle Greg Weely occupe le fauteuil de l'ingé son. Même l'artwork, bien que signé Allen Jaeger, rappelle fortement le travail de Dave McKean. Leeb s'est aussi entouré d'invitées ponctuelles pour nous embarquer dans son cauchemar dystopique et ne sera donc pas seul pour prophétiser l'effondrement de notre monde.

Model Kollapse : le titre renvoie au moment où les Intelligences Artificielles n'apprendront qu'à partie de contenu généré eux-mêmes par des IA pour finalement dégénérer et Leeb questionne ce moment, alors que tant d'aspects de notre vie repose désormais sur ces intelligences, et le chaos que cela provoquerait. Le ton de l'album est donné et son premier titre, Demons, en pose la couleur musicale : familière, avec une dose de testostérone EBM qui booste la voix de fantôme cyborg bien connue et ce sens du groove froid mais imparable et non dénué d'un pouvoir de fascination qui a fait ses preuves.

Si les textures et formules sont familières, Model Kollapse prend pourtant un malin plaisir à partir dans tous les sens. On y retrouve le pont entre passé, présent et futur propre à ce pionnier qui, sans oublier ses racines, a toujours su évoluer avec son époque (c'était déjà criant avec le comeback de Cyberaktif au début de cette année) mais surtout cette envie de toucher à tout. Bill Leeb sait durcir le son (Pinned Down et ses guitares metal indus, la lourdeur menaçante de Infernum et Fusion et leurs ombres cyberpunk à la Gesaffelstein - on flirte avec l'EBSM), le tordre dans un cauchemar psychédélique entre William Gibson et Skinny Puppy (Neuromotive) pour l'apaiser plus tard, n'en oublie pas de faire danser (la frénésie de Terror Forms et l'énergie plus légère de Muted Obsession, avec Shannon Hemmett de Actors) pour finalement se perdre en compagnie de Mimi Page dans ses contemplations mélancoliques avec Erosion Through Time.

C'est là que s’achèvent les visions apocalyptiques de Model Kollapse, sûrement sur un toit, sûrement face à des ruines, sûrement sous la pluie (on sait que c'est là que les larmes se perdent dans le temps, hein). Pour l'auditeur, cet album solo de Bill Leeb pourrait avoir des airs de synthèse de Frontline Assembly : la plus grande force de cet artiste reste son appétit constant, son envie de toucher à tout, de tout greffer à son univers synthétique. Bill Leeb ne stagne pas dans un passéisme mortifère mais n'en oublie pas ses racines et ce Modele Kollapse est un nouveau masterclass du boss.