BIOLLANTE est un projet mutant né d'un autre monstre polymorphe : NON SERVIAM, groupe anonyme de black metal baroque, pas réticent quand il s'agit de bousculer nos tympans avec des expériences noise et industrielles, s'est associé aux rappeurs du collectif GOBSCREW pour accoucher d'un premier titre dédié à un ami incarcéré, Le Monde Me Revient Crié. Une douzaine d'esprits associés avec la volonté d'offrir un hip-hop sombre, industrielle, bruitiste.
Les artistes impliqués décrivent eux-mêmes BIOLLANTE comme un Kaiju, créature monstrueuse et géante venue rappeler aux hommes la puissance de la nature. À choisir, plus qu'à Godzilla, c'est au très gothique monstre de Frankenstein que nous fait penser le projet, cet assemblage de tissus morts divers et d'inspirations variées, ce corps-patchwork recouvert de cicatrices, manifestation lui aussi d'expériences "contre-nature". En cela, BIOLLANTE est à la fois créature et créateur et cite les SWANS, IC3PEAK, DEATH GRIPS et ATARI TEENAGE RIOT : de l'éclectisme et une volonté de s'affranchir des règles, des dogmes, des frontières.
Samples angoissés, basses menaçantes et déjà hypnotiques, mélodie sinistre : Trigger Warning sert d'introduction à un univers étouffant, claustrophobe et rageur où le réel et l'halluciné se confondent. Quand arrive Biollante, le flow nous prend à la gorge : paniqué, fou furieux, haché par un morceau dont la structure évoque une noyade ou un cauchemar avec ses explosions, ses soubresauts et son sentiment progressif d'enlisement dans les ténèbres. BIOLLANTE maîtrise son dosage, alourdit l'atmosphère d'une guitare et de quelques hurlements hérités du black metal sur Le Monde me Revient Crié tout en ajoutant une dose de mélancolie et de poésie aux mots qui nous tombent dessus comme une pluie de poignards. Distorsions, réverbérations, larsens : la musique n'est pas là pour apaiser l'auditeur. BIOLLANTE "pense" les plaies plus qu'il ne les panse sur le titre le plus intense de l'album, monolithe opaque, cradingue et malsain : la douleur jaillit de vociférations qui s'extirpent de guitares poids lourds et d'une mélodie hantée. Les tripes des musiciens jaillissent en musique, nous prennent à la gorge, le résultat est puissant et viscéral et impose un climat de malaise impitoyable. Maladie mentale, suicide, prison : la lumière a du mal à traverser les murs de béton et les couvercles de cercueil. C'est dans son dernier titre, Pourquoi Pas, que J'espère que tu Danseras Quelque Part s'affranchit définitivement de tout repère et atteint une forme de grâce dans le désespoir, apogée d'une démarche libre et habitée. La tête sous l'eau, on est emporté par des dialogues sans horizon, un flow tranchant, des nuisances électroniques psychédéliques, un hurlement glacial et toujours ce sens de la mélodie qui petit à petit renforce la force dramatique du morceau jusqu'à un final où les basses épaisses, les boucles créées par les guitares et quelques chœurs lointain nous trainent en plein rituel mystique et obscur. Sur cet impressionnant final, BIOLLANTE réunit toutes ses influences, ses intentions et impressionne par sa capacité à nous perdre dans ce brouillard anxiogène, sans carte ni boussole, mais sans perdre notre attention.
Comme la créature de Frankenstein, BIOLLANTE est bien plus que la somme de ses parties. Malgré son titre et ses grosses basses, J'espère Que Tu Danseras Quelque Part n'est pas un album pour se trémousser. C'est un monstre insaisissable, affranchi des étiquettes, des codes, des conventions. On y trouve des mots chantés, hurlés, rappés. De la guitare, du synthé, des clavecins, de la harpe. Du sang, des larmes, une poésie aérienne et l'amertume irrespirable d'un parpaing qui nous tombe dans la gorge. Surtout, on y sent une sincérité absolue dans la démarche et les mots, une envie de jouer à la fois au monstre et au savant fou sans perdre de vue la cohérence et l'impact du morceau, sans complaisance, sans paresse. En voilà un album impressionnant.