Toujours à la recherche de l'infini et de l'indicible, Blut Aus Nord consacre un deuxième album Disharmonium à l'œuvre de Lovecraft ; après Undreamable Abysses que nous avions beaucoup aimé l'année dernière (chronique), voici donc Nahab. Nahab, c'est le "nouveau nom secret" qu'a reçue la sorcière Keziah Mason de l'Homme noir, du moins est-ce ce qu'elle a déclaré au juge lors de son procès ; on s'attend par conséquent à s'engouffrer dans cette suite d'angles et de courbes qui lui permettaient de traverser l'espace-temps et qui coûtèrent au malheureux Walter Gilman sa santé mentale... Ça promet, et la très belle illustration de la couverture, là encore réalisée par Maciej Kamuda, nous donne encore plus envie et peur de nous y plonger.
À l'instar du premier volet, on retrouve sur Nahab un univers saturé, peuplé de riffs de guitares longs et massifs, de martèlement furieux de la batterie, de nappes de synthétiseur glaciales, de sonorités distordues et de quelques interventions de la voix humaine écumant sans paroles compréhensibles, tout cela ensemble emplissant l'espace sonore : c'est ainsi que Blut Aus Nord traduit le gigantisme et l'inaccessible à la raison humaine de l'univers lovecraftien. Toutefois, Nahab est constitué d'une manière différente d'Undreamable Abysses : tandis que les nappes électroniques et les chœurs étaient très présents sur celui-ci, nous communiquant un sentiment d'angoisse et de perdition, on les entend beaucoup moins sur Nahab, où ils laissent place au matraquage des guitares et de la batterie ; Nahab est un album plus rugueux, beaucoup moins psychédélique que son prédécesseur. Les structures sont aussi moins tortueuses : la plupart des morceaux sont construits sur un martèlement des guitares et de la batterie qui s'alourdit au fur et à mesure, jusqu'à ce que s'y joigne progressivement les nappes synthétiques, qui prennent parfois entièrement le dessus sur l'outro des morceaux. Les temps de respirations y sont rares, même s'il y en a quelques-uns : les trois morceaux de transition Hideous Dream Opus, les quelques moments où les guitares ralentissent comme à la fin de The Queen Of The Dead Dimension, les outros. Une fois de plus nous sommes en présence d'un univers sonore travaillé, impressionnant et dérangeant.
Et pourtant, la sauce prend moins que sur Undreamable Abysses. C'est que plutôt que de nous entraîner, ce pilonnage incessant des guitares, qui ne se produit pas dans une ambiance dépouillée comme sur d'autres albums du groupe mais au milieu d'un univers sonore plein, donc en nous transmettant moins de violence, tend à nous rendre l'album impénétrable. On se lasse par ailleurs au fil de l'album des morceaux démarrant par un long riff de guitares après une outro calme. Le problème devient particulièrement flagrant sur les deux derniers morceaux The Ultimate Void Of Chaos et Forgotten Aeon.
On s'attache en revanche aux morceaux où l'électronique est plus présente, d'autant qu'elle est merveilleusement tordue et que l'étrangeté des rythmes ne manque pas de nous perturber : The Endless Multitude est une perle en la matière, sombrant irrémédiablement dans la folie jusqu'à ce que l'on atteigne un sommet d'angoisse ; The Black Vortex est lui aussi très marquant, d'abord parce que l'intro électronique est une bouffée d'air frais, ensuite parce le jeu dissonant dans lequel nous balançons entre les guitares et le clavier au fil d'une mélodie qui ne cesse de se tordre sur elle-même est délicieusement perturbant ; notons enfin l'accumulation progressive de l'angoisse sur Nameless Rites, le morceau s'alourdissant inexorablement. Même si cet album nous touche moins que le précédent, il s'agit là encore d'une expérience intense, à faire pour peu que l'on apprécie la désorientation et l'angoisse au contact de l'innommable qu'il nous transmet.