On voit venir ça d'ici, gros comme une maison : il y aura des clans. Il y aura ceux qui diront "béhèlvéhèlle", ceux qui diront "blvlvlvlv" du mieux qu'ils peuvent ou encore les adeptes de la créativité (on vous voit ceux qui disent "Hoggog" pour Ho99o9) qui se risqueront à d'absurdes gymnastiques comme "Blul", "Bulle", ou allez savoir quelles autres trouvailles. BLVL, c'est Belleville. L'artwork du duo Førtifem était un indice, le titre de ce premier album en est un autre, MARTHA, comme la place et la rue Sainte Marthe du Xème arrondissement. L'univers est résolument urbain et la formation, qui se cache derrière des masques mais dont on nous dit qu'elle est composée de vétérans de la scène metal et hardcore française (on nous cite notamment (Dysfunctional By Choice et Mass Hysteria) opère avec ce premier album un virage synthétique bienvenu par rapport à ses premiers EPs.
Le rock alternatif s'est refroidi et BLVL s'engage sur cette vague nostalgique qui amènent des musiciens plus proches de la scène metal à s'emparer de la cold wave pour nous faire, dès Luperci City, un sacré effet. On sent qu'il suffit d'un rien pour que le titre bascule vers une lourdeur plus doom mais reste à une distance respectueuse, quelque part entre Hangman's Chair et Depeche Mode. On flotte au dessus du bitume tout en étant irrésistiblement ramené à la hauteur des trottoirs. BLVL semble choisir son camp par la suite : les échos de la voix de Dave Gahan hantent régulièrement l'album (The 360 Holes Bird, A Night with the Devilfish, à la fois séduisante et dangereuse).
Pourtant, BLVL ne fait pas non plus dans le fétichisme passéiste : l'électronique est en fait plus proche des récents travaux de Perturbator qu'une copie de ce qui se faisait il y a quarante ans. Tant mieux. L'atmosphère qui s'en dégage suinte la mélancolie et les frissons nocturnes alors que le ton gagne une ampleur parfois épique quand les morceaux prennent leur envol (The Serpentine Song). L'humeur contemplative et ténébreuse est troublée par la lueur des lampadaires, maintenant BLVL dans un équilibre nuancé : on ne sait pas vraiment s'il faut danser ou se morfondre, mais on a l'habitude de faire les deux en même temps. Et puis il y a ces idées malines qui apportent à MARTHA sa variété : le vocodeur de Dogs VS Foxes, le final de Black Widow's Addiction qui propulse The Cure sur un dancefloor spatial retro, Vincent Mercier (passé comme bassiste par Mass Hysteria mais aussi chanteur de Ruin of Romantics... avec des gens de Hangman's Chair et Perturbator, tiens, tiens) qui s'invite au micro sur Chase the Dragon en apportant une densité nouvelle, ou encore cette guitare qui sanglote sur Bat Calls Without Walls...
Se perdre avec BLVL dans les rues du Xème arrondissement, un des derniers quartiers avec une âme à en croire leurs mots, laisse le temps pour l'introspection mais aussi son lot d'aventures, comme autant de rencontres. MARTHA sinue entre les immeubles tout en planant au-dessus des toits dans la nuit parisienne et c'est finalement ce délicat équilibre qui séduit, ce mélange d'émotions contraires, la beauté éthérée que le groupe donne au quotidien, la lumière qu'il projette sur ses ombres et ce groove rock'n'roll qui réchauffe ici ou là les synthétiseurs.