Cardinal Noire a pris son temps : le duo composé des Finlandais Kalle Lindberg (Protectorate) et Lasse Alander avait certes sorti un EP en 2020, leur dernier album, Deluge, commençait, eh bien... à remonter au déluge. Les voilà enfin de retour avec un nouveau label, passant d'Audiotrauma à Artoffact Records, et un album dont on se doute que le titre est bien choisi : Vitriol.
En effet, ces deux-là n'ont jamais fait dans le facile à avaler, l'agréable et le réconfortant. Leur approche de la musique industrielle rappelle forcément les piliers de Vancouver (Skinny Puppy, Frontline Assembly) et Killshelter en introduction ne cherche pas à dissimuler ces illustres influences. Le chant est menaçant et nasillard, les nappes tissent un panorama halluciné et psychédélique : le cauchemar sous acide est aussi anxiogène que familier. Cardinal Noire a fait de la froideur sa marque de fabrique, ce qui ne les empêche pas d'ajouter à leur électronique sombre des piques d'émotions, comme cette panique qui explose dans la rythmique frénétique de Gun Metal qui fera furieusement plaisir aux fans de Too Dark Park, mais aussi dans des accalmies mélancoliques (Precious Hearts, respiration introspective en milieu d'album).
Si la musique de Cardinal Noire dresse un tableau noir d'un monde pourrissant créateur de chaos, si les machines sont bien sûr dominantes et intraitables, la musique n'en est pas pour autant dénuée d'humanité. Il y a quelque chose de viscéral dans ce constat amer, les synthés semblant chercher la lumière dans un brouillard opaque, quête d'espoir quasi cathartique qui culmine avec Chariot. Hélas, le verdict est sans pitié : foutu pour foutu, autant plonger dans les ténèbres mécaniques franchement et nous achever en conclusion, tout d'abord avec la furieuse The Swans à la pesanteur fatale, puis la putride Hecatomb, ensemble synthétique en décomposition aussi noir qu'intimidant.
Si Cardinal Noire ne bouleverse pas sa recette avec Vitriol, empruntant toujours aux boss de l'industriel et de l'EBM, leur electro dark intransigeante s'est pourtant encore enrichie, peaufinée. Ils se démarquent d'ailleurs de leurs modèles en refusant une approche dansante : le son est lourd, condamné, rappelant ainsi par exemple la philosophie de Richard Lederer alias Ice Ages. La traversée de l'album est mouvementée et, si l'on n'oserait la qualifier "d'agréable", elle est en tout cas addictive dans ses reliefs, ses méandres tortueux où se mélangent les teintes et les textures. Se perdre dans un charnier mécanique ne se refuse jamais, après tout !