Chronique | CBZK - Dybuctwo

Pierre Sopor 6 avril 2025

Fondé en 2023, CBZK réunit Kopczak (voix et tout sauf les guitares) et Fas (les guitares, donc), qui laissaient déjà libre cours à leur folie dans le projet de black metal avant-gardiste / expérimental Malconfort. On ne les attendait donc ni dans un registre trop balisé et prévisible, ni dans quelque chose de très lumineux et on est servis : CBZK cultive le mystère et les ténèbres et mélange indus, noise, rap et black metal. Les deux artistes, basés entre le Royaume-Uni, la Pologne et la Grèce, présentent leur premier EP comme un regard surréaliste sur l'identité des Carpates polonaises, la proximité distante, la camaraderie, le trépas et la mort. Ils y parlent de manière onirique et allégorique de réalités passés et présentes, liant folklore régional et histoire personnelle : il nous faudra les croire sur parole et parier que le titre, Dybuctwo, fait bien référence au dibbouk, ce démon de la mythologie juive et cabalistique.

Musicalement, effectivement, on ressent la mort, le trépas et les mystères dès W Głębi : texte scandé d'une voix froide, entre murmures menaçants, voix grave claire presque démoniaque et chuchotements incantatoires. Des beats écrasants, un brouillard de guitare opaque : entre rap sinistre et black metal atmosphérique, CBZK nous plonge dans une obscurité dense et hypnotique d'où s'extirpe un début de mélodie lugubre. Le mélange fonctionne, oppressant et possédé. Les nuisances électroniques noise / indus ajoutent leur étrangeté et des couches de profondeur à des morceaux très courts. Même si CBZK semble emprunter à l'horrorcore ses atmosphères poisseuses et à la witch-house quelques beats trap et réverbérations spectrales, le résultat, funèbre et plombant, ne donne pas envie de se dandiner ou de remuer.

Pendant le quart d'heure que dure l'EP, on se noie dans une eau froide et glaciale aux tentations dark ambient qui vire souvent au cauchemar halluciné, comme avec Topiel et ses relents psychédéliques ainsi que ses chuchotements qui se transforment en croassements. CBZK maîtrise les ambiances funèbres et mystiques mais sait aussi être plus frontal et alourdir le son : les basses répétitives et aliénantes de Płyty et Duchota sont aidées dans leur travail de matraquage par un texte martelé avec pesanteur et des assauts industriels bruitistes incisifs : quelque chose de massif semble grouiller dans l'ombre, à la frontière de notre conscience. Les plus audacieux oseront y faire face, au risque d'y perdre la raison.

Après -, plage hantée et sinistre qui laisse échapper une certaine mélancolie dans son néant abyssal, Dybuctwo est déjà terminé. Ce premier contact avec leur univers s'avère convaincant : la plongée est aussi immersive qu'impressionnante. Lourdeur et passages d'égarements plus éthérés se succèdent, entre le rite funéraire et l'histoire qu'on raconte à voix basse au coin du feu. Ce premier EP est plein de terreurs et de mystères, épaissis par une langue moins habituelle que l'anglais et qui donne aux textes ces airs de malédictions marmonnées dans la pénombre. S'il y a bien un dibbouk qui rôde quelque part, âme d'un mort venu prendre possession d'un vivant jusqu'à le rendre fou, alors ce premier EP lui a ouvert grand les portes et c'est avec plaisir qu'on l'accueille... Quelle ambiance !