L'artwork, brumeux et froid, plante le décor. Influencé par le nom, Colmaar, l'auditeur imagine déjà les forêts vosgiennes au crépuscule, leur odeur de pins dont le vert profond tend vers le noir, leurs ruines de châteaux mais également quelques restes oppressants de tranchées de la première guerre mondiale. Mystères, vestiges, nature, hiver, brouillard... Attention, cependant, Colmaar n'a rien d'alsacien : on y retrouve en fait les suisses de When Icarus Falls qui poursuivent leur aventure avec un nouveau nom et un premier album, Eternel.
Si la continuité est flagrante et les influences inévitables citées n'ont pas changé (Cult of Luna, Neurosis), la mutation est évidente. Initiatique et ses boucles hypnotiques imposent leur solennité mystique, préparant le terrain aux mots récités par Diego Mediano, entre spoken-word et invectives rageuses, comme une prolongation plus assumée de ce qu'il nous laissait entrevoir à la fin du dernier album de When Icarus Falls, Resilience, affirmant solidement l'identité du projet. Puis, la tempête : Colmaar plonge vers les profondeurs et se montre aussi lourd que menaçant avec un sens du contraste et du remous vertigineux à la Amenra.
Onirique, angoissé, désespéré : Colmaar est un peu tout ça alors que les titres s'enchaînent de manière organique, nous maintenant dans une brume glaciale où la contemplation et l'introspection ont le goût d'un deuil. Le choix du français est judicieux : suspendu aux textes, on ne se laisse que mieux capter par la musique dont les respirations démontrent une maîtrise de la tension aussi subtile qu'intraitable (Implacable). Eternel a parfois des airs de procession funèbre, comme le temps d'Hypnotique et sa rythmique pesante répétée inlassablement alors que l'orage gronde de plus en plus fort, ou d'une fin d'album à laquelle Funeste et Epilogue confèrent un parfum de renoncement. A quoi bon lutter, il n'y a que défaites, regrets, ruines et fantômes, Colmaar s'en est assuré en route. Les explosions de colères, l'épaisseur de la basse, les assauts plus flamboyants des guitares apparaissent alors comme les derniers soubresauts désespérés d'un corps à l'agonie : on le savait dès cette histoire de forêt vosgienne dans le brouillard, cet album n'est pas là pour nous faire danser.
Ensemble fascinant qui sait très bien jouer des répétitions et des ruptures de rythme pour anéantir la notion de temps et défiler dans nos oreilles d'une traite, Eternel est le genre de voyage dont on ressort étourdi. Intense et viscéral, avec ses airs de rituel cathartique, de rite funéraire, de bataille perdue ou d'errance dans une sombre forêt en hiver, c'est aussi un album qui donne à l'effondrement une dimension monumentale. Quelle belle tempête pour accueillir les longues nuit de la saison à venir !