Suivre le parcours de Maxime Taccardi, artiste qui a déjà exploré le black metal sous plusieurs facettes avec K.F.R, Osculum Serpentis ou Kyūketsuki, est une plongée dans les ténèbres qui ne nous épargne nulle torture et ne fait rien pour rendre la vie de l'auditeur facile, agréable ou rassurante. On le sait : il aime les dissonances, le malaise, les productions sales... Et quand il annonçait se lancer dans un mélange entre post-punk et industriel avec Contemplating the Void, son nouveau projet (un de plus !), notre intérêt était forcément titillé, d'autant plus qu'il avait déjà taquiné de loin le genre avec Griiim.
Néanmoins, si vous connaissiez le travail du musicien, vous vous doutez bien qu'il ne faut pas s'attendre à un respect des codes du genre... Avec ce premier album éponyme, Contemplating the Void propose une relecture personnelle des genres mentionnés plus haut. Ce sera tordu, tortueux, inconfortable et hanté, à l'image de cette voix qui semble nous parvenir d'une autre réalité et de la pesanteur funèbre qui s'impose (Endless War). La froideur est bien là, les synthés aussi, ainsi que les percussions avec réverbérations qui sentent bon l'usine abandonnée. On note aussi cette basse qui introduit The Claws of Loneliness alors que le cadavre putride de Joy Division titube dans une brume radioactive.
La musique de Taccardi est expressionniste, instinctive et viscérale, parfois bruitiste. Il le prouve à nouveau : ici, les émotions négatives sont exprimées dans toute leur grimaçante démesure et soulignées par des effets qui accentuent un ressenti intime exacerbé. Noir, c'est noir : Contemplating the Void, avec ses voix étouffées, ses échos difformes, ses chuchotements, ses gargouillis et l'impression que chaque rythmique, chaque mélodie est en train de pourrir sur pied (ou de s'extirper lentement de sa tombe), est un album qui semble avoir été composé par les morts. Les nappes oppressantes (Solace et le retour des borborygmes black metal dans sa dernière partie) nous abandonnent le temps de Savior Satan pour nous larguer dans l'abîme : ce morceau, cauchemardesque et désespéré, est d'un minimalisme rare chez Taccardi qui réussit aussi à suggérer beaucoup en en faisant moins.
Pourtant, au risque de blasphémer, il est impossible de ne pas deviner une certaine envie de turbulence, une insolence presque jubilatoire dans cet album. Certes, il s'agit probablement d'un des travaux les plus hantés de son auteur, s'approchant de Kyūketsuki pour le parfum macabre qu'il véhicule, mais nous y décelons une effronterie rafraîchissante dans cette manie qu'à l'artiste de tordre le cou aux genres. Contemplating the Void est au post-punk ce que K.F.R est un black metal : un cousin mutant affranchi des recettes toutes faites, une réinterprétation intime qui s'assume et se fiche pas mal de respecter quoi que ce soit, que ce soit les moules préconçues ou nous, pauvres auditeurs à nouveau ratatinés et misérables.
S'il le cache, on soupçonne néanmoins Taccardi d'avoir un certain humour, il l'avait prouvé avec Griiim, et sa reprise de Goodbye Horses de la chanteuse Q Lazzarus pourrait en être une nouvelle preuve : en s'appropriant la chanson associée au tueur du Silence des Agneaux, il mélange mélancolie new wave et noirceur abyssale, associe le lugubre à une forme de décalage pop, comme quand il propose des peintures détournant les Teletubbies ou Peppa Pig... C'est finalement là toute la force de cet artiste atypique et ultra-productif : il n'est l'esclave servile d'aucune convention et, en nous plongeant toujours plus loin dans ses Enfers à lui, avec un son toujours plus malsain et hermétique, réussit cependant nous faire jubiler. On ignore si c'est une forme particulièrement opaque d'humour noir ou non, et cette indécision si gothique n'en est que plus délectable.