Ail, ail, ail ! CRADLE OF FILTH sort de son caveau avec un treizième album en trente ans. L'esthétique général mélange toujours le kitsch et le macabre avec grandiloquence, s'appropriant le Diable sur chaise de nuit qui défèque des âmes dans le Jardin des Délices de Bosch. Existence is Futile nous dit la bande à Dani, mélangeant un fatalisme apocalyptique aux visions infernales : comme d'habitude, l'emballage est soigné pour peu que l'on apprécie les ornements gothiques et horrifiques excessifs du groupe anglais.
Musicalement, CRADLE OF FILTH nous surprenait en 2015 avec Hammer of the Witches, petite révolution qualitative provoquée peut-être par un retour à deux guitares (et les arrivées simultanées de Richard Shaw et Marek Šmerda dans l'équipe) et un son plus dense, plus technique aussi. Passée l'inévitable introduction théâtrale faisant toujours son petit effet, Existence is Futile confirme la plutôt bonne santé artistique du groupe. Les morceaux font le job, on a plaisir à retrouver des rythmiques peut-être plus accrocheuses et variées que sur les derniers albums et des titres alambiqués (Crawling King Chaos), qui gagne une forme de structure narrative via un découpage du morceau en parties distinctes.
Chœurs fantomatiques, orchestrations spectrales, riffs conquérants, hurlements à la lune : tout cela est aussi surchargé et distrayant que les fourmillants détails grotesques de la toile inspirant la pochette d'Existence is Futile. Les ficelles sont épaisses et connues et ce mélange des genres (black metal, heavy, gothique, death, symphonique...) est profondément régressif et même assez jouissif une fois prise la distanciation et le second degré qu'imposent tout ce decorum, quelque part entre Dante et un train fantôme de fête foraine. On en apprécie les parties plus atmosphériques (Necromantic Fantasies, Discourse Between a Man and His Soul, les respirations menaçantes de Black Smoke Curling from the Lips of War) mais aussi un retour à un son plus accrocheur (la conquérante Us, Dark, Invincible ou Sisters of the Mist et ses citations sorties d'Hellraiser).
Pour le reste, CRADLE OF FILTH retrouve ses vieux démons (ahem...) : le groupe n'échappe pas à un certain recyclage dans sa volonté de proposer une synthèse de son œuvre mais surtout l'ensemble est trop long pour être réellement digeste et finit par lasser, les chansons donnant l'impression de s'étirer au-delà de leur durée réelle. Il faut admettre que, comme toujours, Dani Filth, à la fois âme et visage grimaçant du groupe, en est toujours la plus grande force mais aussi sa pire faiblesse : en bon maître de cérémonie survolté, il se démène jusqu'à devenir épuisant, entre ses cris stridents et ses borborygmes de gargouilles, et on frôle souvent la saturation.
Rien de bien nouveau sous le soleil, en somme. Existence is Futile est un album honorable, techniquement abouti et qui a la bonne idée d'être plus varié que les plus récents albums du groupe, bien qu'aucun titre ne se démarque plus qu'un autre. On n'y sera pas dépaysé, CRADLE OF FILTH nous offrant un pot-pourri de ses méfaits, mais le groupe le fait avec un enthousiasme, une vigueur et une générosité appréciable.