Chronique | Dark Tranquillity - Endtime Signals.

Pierre Sopor 14 août 2024

Dans la vie, pour trouver son équilibre, on a parfois besoin de bases stables, de structures solides, de valeurs sûres. Si ces valeurs sûres prennent la forme de riffs méchants, de vociférations menaçantes et de rythmiques belliqueuses, alors tant mieux ! Pourtant, à y regarder de loin, les ténèbres ne semblaient pas si tranquilles du côté de Dark Tranquillity, dont le line-up a été chamboulé de multiples fois ces dernières années. Exit la plupart des piliers, laissant Mikael Stanne (chant) et Martin Brändstörm (claviers) entouré de petits nouveaux, mais peu importe : Dark Tranquillity, comme un savoir-faire ancestral, se transmet de musiciens en musiciens et plonger dans Endtime Signals peut se faire les yeux fermés, pas besoin de plan B : il n'y aura ni entourloupe, ni piège.

Shivers and Void surgit et nous saute à la gorge comme on retrouve ses pantoufles après une journée de travail : une humeur conquérante vient contraster avec une mélancolie suintante, on est comme à la maison (Dark Tranquillity, téléphone maison ?). Il faut dire que le groupe suédois fait tout pour nous mettre à l'aise avec un album qui prend la forme d'un cahier des charges suivi à la lettre où rien ne manque, rien n'est en trop, tout est à sa place. La fougue mordante d'Unforgivable promet de fédérer en live grâce à l'énergie toujours très communicative de Stanne, Neuronal Fire rappelle les racines thrash du groupe, etc, vous avez l'idée : Endtime Signals regorge de passages menés tambours battants et renoue d'ailleurs avec un surplus de méchanceté qui faisait peut-être un brin défaut au précédent Moment.

Pourtant, c'est quand les racines plus gothiques font apparaître leurs silhouettes tordues, quand le chant de Stanne s'éclaircit et que la pesanteur s'invite que l'album nous semble le plus fort (le chanteur se lance d'ailleurs dans un side-project gothic-rock, Cemetery Skyline, dont on a hâte de découvrir le premier album, prévu pour octobre). C'est dans le contraste et les ruptures que Dark Tranquillity fait naître l'émotion, à l'image de Not Nothing, grand moment de spleen nocturne, de la balade funèbre One of Us is Gone rendant hommage à Fredrik Johansson, guitariste du groupe dans les années 90, des claviers hantés offrant à la rage de The Last Imagination un contrepoint nuancé qui insuffle, finalement, une touche épique, ou de ce chant clair qui fait décoller Wayward Eyes dans ses accalmies et qui, dépouillé de postures grimaçantes ou guerrières, confère à la conclusion False Relfection toute sa force. Endtime Signals bénéficie du travail de Martin Brändstörm, ses atmosphères y sont riches et soignées et donnent à la musique de Dark Tranquillity tout son relief.

Finalement, ces changements de line-up ont peut-être permis à Dark Tranquillity de rester vigoureux. Si Endtime Signals ne contient ni surprise ni révolution, il n'en est pas pour autant un album ennuyeux grâce à ses ambiances, ses touches plus progressives, ses contrastes permanents qui permettent de mettre en valeur à la fois son mordant et son élégance. La formule de Dark Tranquillity est maîtrisée à la perfection et plutôt qu'un manque d'inspiration, on y trouve l'essence de leur ADN dans toute ses influences, une démonstration de force où le groupe arbore un visage à la fois agressif et atmosphérique, débordant d'une confiance musclée mais aussi de mélancolie. On en revient aux bases solides : à partir de là, il est possible de construire et c'est ce que font les Suédois en nous servant un album qui est à la fois la continuité logique et la synthèse de leur art. Parfois, ne pas être surpris procure aussi une satisfaction confortable !