Chronique | Darkher - The Buried Storm

Pierre Sopor 15 avril 2022

Mine de rien, cela fait désormais dix ans que l'anglaise Jayn Maiven nous noie dans les crépuscules fantomatiques de sa musique, entre doom et folk. Son premier album, Realms, sortait en 2016 et posait les bases d'un univers fascinant aux ombres superbes : une mise en scène puissante de la désolation via une imagerie poétique et cinématographique forte, une lourdeur hypnotique mais aussi cette touche éthérée à la Chelsea Wolfe qui donne à chaque titre ce parfum mystique. On avait hâte de voir où l'artiste nous emmènerait et The Buried Storm vient alors confirmer toutes nos bonnes impressions.

The Buried Storm porte bien son nom : sous sa retenue feutrée, une tempête couve et ses échos nous parviennent, lointain et souterrains. Darkher sait toujours aussi bien jouer avec les durées et prend tout son temps pour ce nouveau rituel funèbre : une nappe bourdonne et la voix de la chanteuse se mélange aux violons et violoncelles alors que l'introduction Sirens Nocturne nous emporte progressivement vers Lowly Weep et ses percussions organiques. De la réverbération, des textures qui sentent bon le bois, la brume et la pluie, et cette voix, toujours spectrale : Darkher n'a pas son pareil pour planter un décor lugubre et froid mais aussi étrangement réconfortant. Sa musique dissimule ses secrets comme une séance de spiritisme et reste belle comme une marche funèbre.

Il y a quelque chose de presque théâtral dans cette lenteur, dans l'affliction qui dégouline de la basse venue épaissir ce brouillard mélancolique. Darkher, avec ses rythmiques lentes qui semblent avoir traversé les époques pour nous parvenir par échos, rappelle parfois une version plus doom de la bande originale composée par Jozef Van Wissem et Jim Jarmusch pour Only Lovers Left Alive. Maiven joue sur les contrastes : il y a celui offert par sa voix aérienne et la pesanteur terreuse de sa musique, cet équilibre difficile entre sobriété minimaliste et emphase, mais aussi les accalmies entre deux orages comme Unbound et Where the Devil Waits, plus folk, qui ne donnent que plus d'impact à l'élégiaque Love's Sudden Death, magnifique et romantique. Théâtralité toujours dans la dernière partie de l'album quand Immortals, où le chant s'extirpe du fog pour être plus frontal et où les guitares imposent un crescendo que Fear not, My King vient enterrer. Avec son piano hanté et cette complainte venue d'outre-tombe, ce dernier morceau offre la conclusion sépulcrale parfaite à l'album.

The Buried Storm passe comme un rêve, comme un souvenir enfoui ou un fantôme : sans qu'on ne puisse vraiment le saisir et en nous laissant une impression nostalgique. Tout ce que l'on veut, c'est s'y replonger, se perdre dans ses ténèbres. La musique de Darkher convoque d'autres temps, d'autres réalités. Dans la continuité de l’œuvre de Darkher, l'album est un rituel qui donne vie à une multitude d'images et d'émotions. Plongez-vous dans cette grande pièce gothique et romantique et vous serez alors accompagné par les esprits pour le reste de vos errances sur cette terre trop brillante, trop bruyante.