DEAD CAND DANCE est de ces groupes dont on écoute les albums avec la certitude que, quoi qu'il arrive, ce sera intéressant. Depuis sa création en 1981, le duo australien de Lisa Gerrard et Brendan Perry expérimente avec une soif insatiable, mêlant la coldwave au classique et à des sonorités plus exotiques, empruntées aux musiques médiévales ou à diverses ethnies ; leurs pérégrinations ont donné naissance à une scène riche et onirique aux marges du gothique, qualifiée suivant les cas d'heavenly voices ou de néoclassique gothique, peuplée des excellents COCTEAU TWINS, STOA, BLACK TAPE FOR A BLUE GIRL ou en France les plus terrestres COLLECTION D'ARNELL-ANDRÉA. L'album Dionysus sorti cette année marque donc le retour d'un groupe des plus influents, après l'admirable Anabasis en 2012.
Avant même d'insérer le disque dans le lecteur, DEAD CAN DANCE nous surprend par la forme incongrue de cet album, une œuvre unie par le thème du dieu grec Dionysos, ou Bacchus pour nous qui parlons une langue latine, divinité du vin, des excès, de la folie, et ce malgré la couverture qui représente un masque traditionnel des Huichol du Mexique ; plus étrange encore, les morceaux sont répartis en deux actes divisés en mouvements, suivant l'articulation habituelle de la musique classique, on glisse ainsi de l'un à l'autre tout en restant dans un même univers, ce qui promet un album immersif.
L'album ne cesse pas de dérouter à l'écoute : comme on s'y attendait, Dionysus est un disque d'une grande richesse et aux ambiances soignées, dans lesquelles on se plonge facilement et dont on ne ressort pas aisément, mais surtout, il est essentiellement instrumental, la voix de Brendan et davantage encore celle de Lisa ne réalisant plus que des incursions, sur leur habituel mode éthéré ; l'instrumental est au contraire très vivant, animé par les percussions sur un mode mystique et dansant, joyeux et mystérieux à la fois, dans un esprit qui doit sûrement beaucoup aux festivités païennes des moissons dont s'est inspiré Brendan Perry. Avec Dionysus, DEAD CAN DANCE nous entraîne dans une sorte de fête de la démesure libératrice, servie par une collection de sonorités dépaysantes, flûte slovaque ou tambour iranien, samples enregistrés en plein air ; le risque est toujours grand de n'en tirer que du tourisme musical, mais comme toujours, DEAD CAN DANCE parvient à tisser l'ensemble en une toile cohérente qui nous prend rapidement au piège, marque la plus sûre de son talent. Nous sommes ici aux antipodes des racines coldwave du groupe, au propre comme au figuré, mais quelle importance ?
Du premier acte, dont les sons sont plutôt ceux de la Méditerranée et de l'Europe, on retiendra particulièrement Sea Borne qui relate l'arrivée de Dionysos en Grèce, délicieusement hypnotique, et Dance of the Bacchantes, plus rythmé, nous entraînant dans la transe des danseuses adeptes du dieu ; du second, qui semble lorgner davantage vers l'orient, The Invocation, où la voix de Lisa Gerrard invoque la divinité sur un mode théâtral. The Mountain et The Forest, sur le second acte, sont en revanche les morceaux les moins marquants de l'album, car en dépit de nouvelles sonorités, on a tôt fait de reconnaître l'ossature de morceaux passés du groupe, en particulier de la période Spiritchaser.
Sans révolutionner l'univers musical du groupe, Dionysus est donc un bon cru ; naturellement, on est en droit de regretter la faible place des deux voix et en particulier de celle de Lisa Gerrard, on peut également être nostalgique de la musique fantomatique des débuts du duo, mais l'album a sa propre personnalité, qui nous entraîne dans une douce ivresse.