Jürgen Engler est un homme occupé : DIE KRUPPS est loin d'être rare sur scène et plus tôt dans l'année il s'acoquinait avec Dino Cazares (FEAR FACTORY) et Claus Larsen (LEAETHER STRIP) pour sortir le premier album de DIE KLUTE. Oui, mais de DIE KRUPPS, on restait sur Stahlwerkrequiem (2016), révision d'un premier album sorti en 81 plus proche du krautrock et des racines de la musique industrielle que de la machine à hits que l'on connaît aujourd'hui. Les véritables patrons du metal industriel Made in Germany sont de retour pour de bon avec Vision 2020 Vision et son artwork... ahem. Ne disons rien de cet artwork et arrêtons la phrase ici : ils sont de retour avec Vision 2020 Vision et son artwork, point. Regards gênés. On se comprend.
Les années passent et DIE KRUPPS prend de l'âge. Pas qu'eux, remarque : vous aussi, vous vieillissez. Et en vieillissant, on trouve que le futur fait de plus en plus peur. En l’occurrence, 2020. C'est dans quelques jours. Les futurs dystopiques auxquels nous ont habitués les musiques industrielles sont désormais devenus notre présent et l'actualité a de quoi redonner à un musicien au propos ouvertement anti-fasciste l'envie de montrer les crocs.
Vision 2020 Vision attaque fort. Riffs percutants, discrète mélodie vaguement orientale, rythmique accrocheuse héritée du passé EBM du groupe et texte engagé scandé par Engler, toujours plus rugueux et guttural : le morceau-titre est l'entrée en matière idéale. DIE KRUPPS est synonyme d'efficacité et le démontre à nouveau avec une succession de titres irrésistibles, tout en puissance et énergie.
Sur Trigger Warning, sentiment d'urgence et groove EBM imparable, Engler, ironique, nous lance "enjoy your safety zone". Il faut admettre qu'à l'écoute de Vision 2020 Vision, l'auditeur retrouve ce qu'il attend d'un groupe qui, lui non plus, ne sort pas vraiment de sa zone de confort. Tout cela est très bien fait, et si l'évolution metal de DIE KRUPPS, toujours plus affirmée, peut encore surprendre (les guitares de Wolfen (Her Pack) sont particulièrement mordantes), elle ne date pas non plus d'hier. Mais avec son chanteur en très grande forme et ses compositions séduisantes, DIE KRUPPS ne perd rien de son capital sympathie et se modernise par légères touches, petit à petit. N'y aurait-il pas des airs de COMBICHRIST dans la furieuse Extinction Time et ce chant saturé assez inédit ?
C'est finalement quand la machine à hits tente de varier les plaisirs qu'elle s'enraye : il est plus difficile d'être convaincu par la reprise de Peter Gabriel The Carpet Crawlers et Fires malgré des envolées théâtrales grandiloquentes assez étonnantes et des prouesses vocales inattendues. Théâtral toujours, ce refrain de Destination Doomsday avec sa voix grave et son solo de guitare : DIE KRUPPS s'amuse. Tant mieux. On rigole avec eux, même sur F.U. : musicalement, c'est idiot mais le propos bas du front explicitement adressé au psychopathe orangé de quatre ans qui occupe la maison Blanche remporte facilement l'adhésion. Plus tôt dans l'album, il était question de loups. Le vrai prédateur, cependant, c'est celui sur lequel s'achève cet album. Human, ses riffs mammouths, ses synthés qui font tututu et son ambiance apocalyptique pesante offrent la conclusion parfaite d'un album dont le rythme ne s'essouffle (presque) jamais.
Vision 2020 Vision ne révolutionne pas DIE KRUPPS et aurait gagné à être plus court d'un ou deux morceaux pour éviter quelques redites. Mais, alors que le groupe va entamer sa cinquième décennie d'existence, il est la preuve d'une énergie flamboyante qui jamais ne s'épuise. Par ajouts discrets et en l'ancrant dans un contexte social actuel, DIE KRUPPS maintient toute la pertinence de sa musique. Pas besoin d'artifices ni de gimmicks pour éblouir les badauds : avec envie, simplicité, sobriété et talent, les maitres du genre restent réjouissants et gardent une forme de jeunes hommes. Qu'ils continuent alors à nous faire des pochettes moches, on s'en fout : chez eux, au moins, l'allumette embrase quelque chose.