DIR EN GREY est l'un des groupes les plus créatifs et fascinants de notre époque. Après deux décennies de carrière, le quintet ne cesse de nous surprendre par sa musique métissée, en constante évolution, qui sort toujours des sentiers battus. Leur neuvième album-studio ne déroge pas à la règle : Arche témoigne d'un éclectisme certain, presque troublant, où se mêlent leurs influences et explorations musicales développées depuis leurs débuts dans les années 90.
Sorti le 10 Décembre 2014, le disque se présente comme un panorama rétrospectif d'un héritage discographique dense et extrêmement varié qui combine habilement les premières phases artistiques de la formation japonaise — dotant au passage une signification particulière au titre : Arche (prononcé a-lu-ké) signifie « origine » en grec — au virage sonore épico-hybride qu'elle a engagé sur Uroboros (2008), puis fait mûrir et magnifier sur Dum Spiro Spero (2011). L'album est composé de seize chansons et pose dès les premières notes les changements occasionnés : Un Deux n'est ni une piste instrumentale, ni un titre progessivo-bourrin. Il va falloir s'y faire, le groupe chérit l'imprévisible, il est toujours là où on ne l'attend pas. De cet album, émane une ambiance plus mélodieuse, plus éthérée et catchy que celle de ses prédécesseurs, alliée en parcimonie à une agressivité maîtrisée. Cette tendance à l'ambivalence, devenue le leitmotiv du groupe, est ici poussée à son paroxysme et délivrée durant plus une cinquantaine de minutes tantôt de manière alternée — comme l'enchaînement du complètement barré Uroko à l'ovni sensuel Phenomenon, ou celui de Kukoku no Kyounon à The Inferno — tantôt de manière fusionnée — comme sur les pistes Soshaku, Midwife ou encore Magayasou. Sur le disque, des titres survitaminés, tels que Cause of Fickleness et Chain Repulsion côtoient des ballades aériennes et cristallines, comme Rinraku, Tôsei et Behind a Vacant Image. Les compositions sont à la fois complexes, asymétriques à la fois claires, épurées — à l'image de leurs noms — et allient conjointement la technique à l'émotion. Au travers de ce cocktail explosif, chaque talent est mis en avant : les coups de batterie sont imprévisibles, à la fois secs et subtiles, toujours appuyés par des lignes de basse d'une profondeur indiscutable, les guitares de Die et Kaoru, accordées différemment, s'harmonisent et font confronter des riffs tantôt lourds, lancinants et saccadés ; toute l'étendue de l'organe de Kyo est également embrassée, lequel privilégie étonnement des vocaux clairs, chantés, parfois lyriques. Les borborygmes, cris gutturaux et bizarreries vocales sont toujours présents, mais livrés de façon clairsemée, par bribes bien dosées. Une nouvelle fois, sa prestation incline au respect et rappelle le panel si versatile de Mike Patton. Avec Arche, le groupe signe d'une main de maître une production plus mélodieuse, moins dissonante, qu'il ne l'avait fait avec Uroboros et Dum Spiro Spero, rappelant, sans nostalgie, les albums de la première heure. Certaines chansons, on citera Cause of Fickleness et Kaishun, auraient très bien pu paraître sur Withering to Death sorti il y a 10 ans maintenant. Le groupe renouerait presque avec ses origines, à l'instar du titre et couverture de l'album — qui dépeint un horizon vertical où gravite et flotte ce qui s'apparente à un torse décapité, bombé connotant le ventre d'une femme enceinte duquel des racines émanent. DIR EN GREY poursuit ainsi une trajectoire à la fois longiligne et circulaire. Ce paradoxe, fil conducteur de l'album, titillera le moindre de vos sens mais rebutera les oreilles non-averties.
Prêtez-y plusieurs écoutes, sa compréhension et appréciation s'acquièrent avec le temps. On découvre de nouvelles choses à chacune d'entre elle. Uroboros, Dum Spiro Spero et Arche forment pour ainsi dire une trilogie, un puzzle, incontournable, à qualité et créativité égales, ce qui est très rare dans le paysage musical actuel.