Chronique | Divine Shade - Fragments-Vol. 1

Pierre Sopor 7 février 2025

Divine Shade a mis environ une dizaine d'années avant de sortir son premier album. Le projet de rock industriel du Lyonnais Ren Toner a pris le temps de mûrir, singles après singles, concerts après concerts, côtoyant quelques illustres grands frères en route (Divine Shade a assuré les premières partie de Gary Numan ou The Mission et invité des musiciens comme Chris Vrenna, Steve Fox-Harris ou Chris Payne dans son univers). Teasé par quelques singles, Fragments-Vol.1 porte bien son nom : collection de parties d'âme et de rêveries, ce premier ensemble s'apprécie aussi comme on parcourt les débris d'un accident ou les ruines après un cataclysme.

Le ton y est résolument sombre, hanté par un chant étonnamment grave pour un artiste encore relativement jeune. Si le rythme entraînant de Hate and Oblivion peut nous induire en erreur (ou nous enduire d'horreurs ?), le texte est récité avec abattement. La mélancolie, les remords, les fantômes du passé : Divine Shade ne suinte pas d'optimisme et appuie son propos avec Oublier, un titre à la fois pesant, hypnotique et intense. L'usage du français est un choix plus que judicieux, on savoure non seulement une musicalité inhabituelle dans le rock industriel en plus de mieux apprécier l'écriture.

L'héritage de Nine Inch Nails est souvent flagrant chez Divine Shade, ce côté écorché, ces machines dures qui se heurtent à des plages plus contemplatives et poétiques, ce goût pour les guitares lourdes qui grattent fort, ces racines new-wave modernisées. A l'instar de Kloahk, autre superbe héritier francophone de Trent Reznor (est-ce un hasard si Divine Shade et Kloahk collaboraient le temps d'un titre l'an dernier ?), Ren Toner maîtrise les nuances et nous laisse entrevoir quelques lueurs d'espoir (Heaven, Stars), comme pour mieux nous enterrer ensuite. Fragments-Vol.1 sait mordre (Get Away), faire remuer nos popotins (Ruines et Cendres et son groove contagieux) et nous remuer tout court quand l'introspection prend le dessus (Show me the Way et son violon dramatique que l'on doit à Chris Payne).

Difficile de pointer du doigt ce que l'on a préféré dans ce Fragments-Vol.1. Cet équilibre sobre où la retenue met en valeur tout ce qui est contenu avec élégance, les spectres que l'on y croise, les moments d'abattements, les passages sismiques, cette nouvelle confirmation que la scène rock et metal indus française est en pleine forme (que ce soit pour pogoter ou trouver des propositions plus intimes)... Finalement, et si la meilleure nouvelle de ce très beau fragment d'obscurité résidait dans son titre et ce "Vol.1" qui sonne comme la promesse d'une suite ? Malgré l'humeur générale pas franchement joviale, tout nous invite à espérer !