Year Two arrive deux ans après Year One : Doodseskader (l'escadron de la mort en flamand) a de la suite dans les idées. En deux ans, il s'en passe des choses : à regarder Tim de Gieter (Amenra) et Sigfried Burroughs (Kapitan Korsakov), on constate par exemple que des cheveux ont disparu mais que des tatouages sont apparus. Deux ans, c'est court aussi : on n'était pas encore totalement remis de la déflagration d'un premier album qui mélangeait musique industrielle, sludge, rap, grunge et tout un tas d'autres choses, du moment que ça sort des tripes.
De tripes, ce Year Two n'en manque pas. Elles y sont crachées, hurlées, transpirées et jetées à la gueule de l'auditeur, étalées là, sous nos tympans abasourdis dès un début pourtant en nuances. Prison Pastel parle d'isolement, de désir, du bien-être qu'une bonne compagnie fait ressentir... mais aussi du désespoir viscéral qui nous étouffe quand ça ne se passe pas aussi bien. Romantique, Doodseskader ? Bien sûr. Mais pas vraiment dans le genre soupirant niais : Year Two est un déballage d'émotions exacerbées, morbides, mélancoliques, enragées, radicales et torturées.
Les cris jaillissent, incontrôlables, cathartiques, fous, possédés. Les machines nous écrasent. La basse épaisse impose un climat oppressant et hypnotique du début à la fin (Innocence (An Offering), intraitable dans sa froideur industrielle et sa rythmique sans pitié, Bone Pipe et son flow écrasant et menaçant), maintenant l'auditeur sous tension. Lors d'éclats aussi soudains que violents, le chant apathique piqué à la scène grunge mute en rugissements voire en growls assumés et abyssaux (The Sheer Horror Of The Human Condition et son final techno / black metal qui nous laisse sur le popotin). Doodseskader aime mélanger les genres et nous prendre à contre-pied, nous sautant à la gorge avec un virage soudain, une explosion sonore à la hargne contagieuse.
Doodseskader est écorché. Les horizons industriels sont sinistres, l'existence de l'humain prend des airs d'acte de résistance acharnée : il faut hurler sa souffrance pour exister. La puissance des assauts répétés et des émotions éviscérées nous tiennent dans un état de vigilance permanent, même quand le propos s'adoucit en apparences (Peine, Future Perfect (A Promise)) : on s'attend à tout moment de replonger dans des tourments infernaux douloureux, certes, mais également séduisants et addictifs (les rengaines de I Ask With My Mouth, I'll Take With My Fist, où l'on peut à nouveau savourer la dureté de la langue flamande quand elle est rappée, n'attendent pas poliment pour se loger dans nos cranes).
Year Two fascine bien sûr avec sa folie, tendance à faire volet en éclat les frontières entre les genres mais c'est surtout avec sa sincérité que l'album nous happe. Déflagration spontanée pleine d'urgence, d'angoisse, de rage, de frustration et de désespoir, il ménage cependant ici ou là quelques respirations où l'on ne sait si l'on doit trembler, abandonner, ou en profiter pour apprécier la grâce de quelques secondes contemplatives. Pour son honnêteté radicale et sa richesse, le deuxième album de Doodseskader est un trésor de douleurs dont on est ravis de pouvoir enfin profiter. Si l'on souhaite aux musiciens d'être déchargés de leurs peines en nous les partageant, égoïstement, on espère quand même que leur état ne s'arrangera pas de trop : c'est beau quand ils souffrent.