Où aller après la Mort ? Avec son précédent album Summerland, DOOL nous emmenait vers l'au-delà, un thème fort et radical qui était également l'apogée d'un style romantique et mystique empruntant notamment au rock gothique, au doom, au grunge et au pop-rock avec toujours cette approche qui cherche l'impact émotionnel dans la nuance mélancolique douce-amère. Un troisième album est une affaire délicate : DOOL est désormais établi et se devait de muer pour ne pas stagner.
Ce changement de peau est, d'une certaine manière, partie intégrante du propos de The Shape of Fluidity, où les questions d'évolution et d'acceptation de soi prennent un sens tout particulier pour Raven Van Dorst, né.e intersexe et dont la voix n'a jamais été aussi androgyne, saisissante dans les aigus, intimidante dans les graves. Plus trivialement, cette fluidité nous saute aux oreilles avec toute la verve rageuse de Venus In Flames, le titre d'ouverture : DOOL est plus mordant que par le passé et, en ajoutant une pesanteur plus metal, des structures plus imprévisibles et progressives et des parenthèses post-rock plus contemplatives, DOOL est également plus technique. Il en résulte des morceaux conquérants et plein d'intensité, souvent épiques (Self-Dissect, Hermagorgon).
Est-ce qu'on y perd en puissance émotionnelle ? Les effets théâtraux qui nous chopaient aux tripes instantanément ont laissé leur place à des titres plus complexes qui nécessiteront peut-être plus d'écoute pour être assimilés mais DOOL a toujours ce sens de l'efficacité, ce savoir-faire quand il s'agit de créer un son qui va nous emporter comme un ras-de-marée, à l'image d'un morceau-titre poignant. Sur House of a Thousand Dreams et son Kim Larsen (Of the Wand and the Moon) en invité, les Néerlandais renouent avec une poésie sépulcrale mystérieuse aux accents folk et dont la ligne de chant prend des couleurs médiévales (on n'est pas loin de parfois penser à "Belle qui tiens à ma vie" que chantait récemment Bleu Reine... dont le batteur est Vincent Kreyder, également le nouveau cogneur de futs chez DOOL, tiens, tiens). On sait que, malgré la sincérité de sa musique, DOOL aime aussi le grandiose et le théâtrale : Hymn for a Memory Lost et The Hand of Creation offrent à l'album un grand final en apogée où la lourdeur écrasante et les humeurs funèbres cohabitent avec des envolées viscérales mélangeant rage et espoirs dans un mouvement dont le groupe a le secret, unissant un large panel d'émotions parfois contradictoires dans un même élan d'une classe folle.
Avec The Shape of Fluidity, la notion de quête d'identité et d'ouverture donne à DOOL une touche intime nouvelle... qui peut cependant aussi s'appliquer à la musique du groupe. En construisant sur les bases des deux précédents albums, le groupe s'est cherché et a incorporé de nouvelle choses pour, finalement, mieux définir encore son identité. Il en résulte un album à la fois plus riche musicalement mais aussi plus cohérent, comme si DOOL, à l'image de sa voix Raven Van Dorst, s'était trouvé pour de bon et y avait gagné une confiance nouvelle, irrésistible.