L'exercice de l'album live est particulier. Qu'est ce qu'un groupe peut bien proposer, si ce n'est une compilation de morceaux joués devant un public ? Une date particulière, un lieu spécial, une formation inhabituelle, des instruments différents peuvent ainsi servir de prétexte... Avec Visions of Summerland, DOOL y ajoute un soupçon de romantisme, évidemment mélancolique et doux amer : le jour le plus sombre de l'année, le groupe de dark rock achevait sa tournée dans sa ville d'origine, Rotterdam, à l’Église Arminius. Rassurez-vous : fidèle à sa réputation Raven Van Dorst n'y prononce que peu de mots, aucun discours en néerlandais incompréhensible n'est à craindre !
Plusieurs symboles coexistent alors : DOOL joue "à la maison" devant ses amis et familles, il y a cette longue nuit et la dimension sacrée du lieu, bien sûr, mais on peut aussi faire un lien entre la date et le thème de l'album Summerland. Paru juste avant que le monde ne se confine, ce merveilleux disque parlant du passage de la vie à la mort, n'a jamais vraiment eu droit à l'existence live qu'il méritait, si ce n'est quelques concerts fin 2022. Aux adieux symboliques que doit faire le groupe à cette œuvre morte-née s'ajoutent ceux à leur batteur, qui leur avait annoncé son envie de quitter le projet après la tournée. Voilà pour le background de ce Visions of Summerland, qui, déjà, donne un parfum bien spécial à l'image de ce que propose le groupe, quelque chose de poétique, sombre mais tourné résolument vers l'avenir.
Musicalement, le constat est le même à l'écoute du disque que lors d'un concert... Si à la lecture de la tracklist, il faut dans un premier temps faire le deuil d'anciens titres que l'on pensait immortels et irremplaçables, force est de constater que les nouveaux prennent une toute autre dimension sur scène : l'énergie qu'y met le groupe confère une intensité rare et Be Your Gods ou God Particle prennent d'emblée des accents épiques. On est tristes, mais on est heureux aussi, ainsi va la vie. On est cueillis par la voix de Van Dorst, bien plus grave et affirmée qu'en studio, qui vient directement nous attraper par le fond des entrailles pour nous embarquer dans une traversée mouvementée et menée tambour battant, son charisme semblant déborder des enceintes.
Le mélange d'influences gothiques, grunge et pop-rock de DOOL a fait ses preuves et est aussi efficace qu'addictif. On se laisse alors bien volontiers entraîner dans ce tourbillon d'émotions... Et puis, quelque chose se passe. Quand arrive le titre Summerland, sur lequel le groupe plante déjà les graines de la mélodie qui conclura plus tard la performance, on est surpris par un final inédit et feutrée, à la fois, beau, rassurant et sinistre qui étire le morceau d'origine au-delà des dix minutes. Le live prend alors un tournant et s'engage dans un crescendo savamment orchestré : alors que l'on sent la fin approcher, l'énergie s'intensifie encore. La pesanteur cathartique de Love Like Blood, où Killing Joke est réinventée avec superbe mène à la puissance fédératrice d'Oweynagat et sa deuxième moitié en apesanteur avant qu'enfin, Dust and Shadows impose son point final ultime avec son romantisme crépusculaire, à la fois conquérant et angoissée, nostalgique et tournée vers les tempêtes à venir.
Après tout, la mort fait partie de la vie et DOOL réussit à retranscrire toute les nuances et la beauté de ce mélange d'espoirs, de regrets, de mélancolie, de ténèbres et de lumières. Le format live permet d'insuffler une énergie nouvelle aux titres, le groupe étant connu pour ses performances fiévreuses et sa générosité, et donc d'y communiquer avec encore plus de puissance les émotions des morceaux. C'est épique, bouleversant, intime et universel, en bref, c'est sublime. Avant de voir où le groupe nous emmènera dans son troisième album (où aller, après la mort ?), Visions of Summerland restera le témoignage d'une ère qui aurait mérité bien plus que quelques trop rares concerts.