Dans la dure vie de chroniqueur, il arrive d'être blasé. Ou mal à l'aise, parce qu'on se retrouve à écouter des trucs absolument nazes. Et puis il arrive de découvrir des projets géniaux. Mais parfois, il arrive qu'on ne sache pas. Qu'on ne sache pas quoi ? Ben, qu'on sache pas, quoi. On ne sait pas trop ce qu'on a entendu, d'où ça sort, ce que ça veut dire, si ça veut dire quoi que ce soit, on ne sait pas trop ce qu'on en pense, en fait, on se rend compte qu'on ne sait rien. Plus excitant encore : on ne sait pas trop si on s'est pas un peu moqués de nous, si on ne va pas être le dindon d'une farce savoureuse en publiant un truc très intellectuel sur un disque auquel on n'a rien bité, ou au contraire si on n'est pas un peu trop con pour saisir quelque chose qui nous passe bien au-dessus. C'est un peu ce que propose DORMIR DANS LA CHAMBRE FROIDE ? avec Mexico : une perte de repères inattendue et un voyage psychédélique qui ne ressemble à rien de connu.
DORMIR DANS LA CHAMBRE FROIDE ? propose une musique expérimentale, principalement acoustique, qui sent très fort le DIY. Gabriel Berteaud décrit son projet comme de la cacophonie poétique et il faut dire qu'on n'a pas trouvé mieux comme étiquette. Composé de différents morceaux enregistrés entre 2012 et 2017, Mexico démarre sur un chant plaintif, grave, lent, inarticulé, accompagné de quelques percussions. La vérité est dans le Chou-Fleur nous dit cette première piste, tel un indice, ou plutôt une invitation à abandonner dès maintenant toute quête de sens. Ta Glace est comme un Etrier pour mon Cafard prolonge ce chant et fait naître quelques doutes : est-ce que tout l'album va être comme ça ? C'est plaisant un temps, mais la démarche, post-moderne à mort, peut ressembler à une blague, les titres totalement absurdes des morceaux n'invitant pas franchement au sérieux. Est-ce qu'écrire sur Mexico de manière sérieuse revient à tomber dans une piège ? En creusant, on découvre que DORMIR DANS LA CHAMBRE FROIDE ? est un projet très prolifique, dont certaines œuvres sont sorties sur des labels variés, aux noms parfois tout aussi improbables. On n'est pas plus aidé.
C'est humain de chercher à en savoir plus, de vouloir comprendre. Mais très vite, cela nous plonge en plein cauchemar kafkaïen, un labyrinthe digne d'un film de David Lynch, et l'on se souvient de ces quelques mots qui introduisait l'album : la vérité est dans le chou-fleur. Rien ne sert de gratter, il faut lâcher prise, se laisser prendre. Un Hopital pagaie mieux que deux Gouvernements continue sans les chants, mais avec un drôle d'instrument à vent joué de manière erratique, entre la flûte et le goulot de bouteille. Aussi bien farce que trip psychédélique, Mexico est d'une étrangeté constante sans ne jamais être répétitif. Cet ensemble hétéroclite et absurde fait de bric, de broc, de guitares acoustiques, de voix, de sons divers finit par nous faire osciller entre une forme d'hypnose et la plus complète sidération. Monodule, Bidule, Tridule a le mérite de nous apprendre que ces trois mots existent bel et bien et, malgré leur ressemblance évidente, n'ont rien à voir entre eux. Un peu comme les différents titres de Mexico. Sauf qu'au final, sans qu'on ne sache trop pourquoi, si on est d'humeur, l'expérience révèle son côté un peu mystique, que le début de Faille Astrale rend carrément spatiale avant que quelques paroles à la fois amusantes, absurdes et, mine de rien, plutôt belles, ne concluent l'oeuvre. On vient à bout de Mexico avec, finalement, l'impression qu'une poésie certaine se dégage de cet ensemble déglingué, que cela soit voulu ou non.
Ce n'est pas que DORMIR DANS LA CHAMBRE FROIDE ? n'a aucun sens, ou que c'est un projet sans queue ni tête. Bien au contraire : ça part dans beaucoup trop de sens pour qu'on les suive tous, et il y a un paquet de queues et de têtes, pas forcément aux endroits habituels. C'est déstabilisant, totalement perché, inattendu, souvent atonale et la production homemade ne nous facilite pas l'écoute. Ce n'est pourtant pas si désagréable, à condition d'être réceptif à la chose et pas trop susceptible. Il est parfois agréable de se perdre, de n'avoir aucune idée de ce que l'on vient d'entendre et d'avoir la vague impression que quelqu'un, quelque part, doit trouver tout ça très drôle. Ou pas. Merci. Bonsoir.