Depuis ses premiers pas, DROWND a su faire preuve d'une vraie puissance émotionnelle, Joe Crudgington insufflant à son projet une souffrance et une rage sincère qui lui confèrent toute son intensité viscérale. Environ deux ans après un premier album éponyme, DROWND est de retour avec un second format long de quatorze titres... Crudgington, seul maître à bord, a été généreux et c'est avec un plaisir non dissimulé que l'on se replonge dans ses tourments sur [AN]AESTHETIC.
Inspiré par les plus célèbres malades de la scène rock industriel des années 90, DROWND est un projet égocentré. N'allez pas y voir là une accusation de nombrilisme, mais le projet sert de catharsis, d'exutoire à Crudgington pour nous dégueuler au visage sa bile, sa rancœur, son désespoir. Pas d'univers fictif ni de concept spécial : l'artiste crache ses tripes. Le premier morceau, Palpitation, vient nous le rappeler avec sa pulsation aux airs de rythme cardiaque, sa mélodie glauque, ses chuchotements et enfin son explosion : à nouveau, [AN]AESTHETIC sera une manifestation extérieure de ce qui était enfermé à l'intérieur. Ses hurlements d'écorché et son climat d'apocalypse sont dantesques.
Frénésie, sueur, ambiance malsaine, murmures possédés et cris qui viennent des tréfonds de l'âme : DROWND n'a pas changé ses ingrédients et ne s'économise pas. Au risque de griller ses cartouches trop tôt ? L'artiste a gagné en puissance et en lourdeur (Save Yourself est le chaînon manquant entre un metal industriel poids lourd façon 3TEETH ou COMBICHRIST et la noirceur auto-destructrice de The Downward Spiral ou Antichrist Superstar), son énergie suffit à nous maintenir captifs, comme emportés par ce tourbillon déchaîné. Il s'affranchit des codes et rend hommage à ses influences hip-hop sur Deathwish, aux boucles électroniques hypnotiques et au flow furieux, ancrant son travail dans une démarche moderne où, finalement, les genres s'hybrident du moment que le résultat mord fort, là où ça fait mal. Finalement, DROWND réussit à maintenir le feu sacré et ne s'égare que très peu (on est moins convaincus par Enough is Enough, plus prévisible et moins habitée).
Habitué jusque là à nous balancer des formats courts, entre micro EPs et mini album, DROWND est bien obligé de nous ménager avec des morceaux moins turbulents. On apprécie alors la noirceur cradingue de Stripped et sa guitare tout en menace contenue qui finit par nous écraser sous des riffs martiaux et ses synthés futuristes, on se laisse convaincre par le groove toxique de Sinner et sa pulsation qui veut nous faire des choses comme le feraient des animaux (ah tiens, coucou Reznor) ou encore par la séduction vénéneuse d'Avolition. En guise de final, DROWND invoque l'époque où un CD pouvait tourner plusieurs minutes avant de révéler une piste cachée. Après une plage de silence, You'll Destroy This contient dix minutes de cauchemar atmosphérique qui nous rappellent que si le chant haletant et fiévreux du musicien et la violence de ses guitares nous ont chamboulés tout au long de l'album, il sait également y faire pour nous hanter avec une mélodie simple ou une nappe discrète.
DROWND est un projet intime qui vient nous cogner directement dans les entrailles. C'est sale et violent, Crudgington extériorisant ses névroses, ses délires, sa haine avec une force bestiale. Si [AN]AESTHETIC ne peut évidemment pas nous secouer avec la même force sur toute sa durée, il varie les sévices et permet à DROWND de se forger une identité, entre un respect affirmé pour ses modèles mais aussi une envie d'émancipation, de modernité, et d'envoyer tout bouler aussi rafraichissante que jouissive. Ça fait du bien d'être secoué comme ça.