On ne se lasse pas de raconter au coin du feu l'histoire, en phase de devenir légendaire, du clan Eihwar : jaillit du Ginnungagap, ce néant primordial de la mythologie nordique, les deux monstres prenant le nom d'Asrunn (chant, percussions) et Mark (machines, voix) ont conquis et convaincu les hordes... presque avant d'être convaincus eux-mêmes, comme ils nous le racontaient en interview. Un succès fulgurant et surprenant qui, en l'espace d'une grosse année, les a amenés à faire danser d'énormes festivals (Hellfest, Wave Gotik Treffen, Motocultor...) et sortir un premier album via Season of Mist.
Au-delà de l'effet de surprise initiale ressenti en découvrant une musique qui, bien qui puisant dans l'imagerie et les fantasmes nordiques, se fiche totalement de toute forme de crédibilité historique pour mieux provoquer des séismes du popotin sur le dancefloor, Eihwar allait devoir bosser pour garder sa fraîcheur. De l'electro qui fait boum-boum, des instruments traditionnels (certains samplés, d'autres non) et un contraste au chant entre les borborygmes menaçants de Mark d'un côté et les lignes hypnotiques d'Asrunn : la recette est simple. Eihwar ne s'encombre d'aucune posture ni de vaine tentative d'apparaître "crédible" ou "sérieux" : la démarche, fun et spontanée, apporte un souffle d'air frais à une mode qui a tendance à oublier de rigoler d'elle-même, mais aussi de rêver...
Car finalement, Eihwar, derrière son enchaînement de tubes épiques et cinématographiques (les chœurs galvanisants du morceau-titre, les percussions de Ragnarök) et ses airs conquérants, dégage aussi une forme de douceur naïve, une offre d'évasion à la fois belliqueuse et solaire (Volva's Chant et son intensité progressive, la conclusion atmosphérique et minimaliste Sir Mannelig qui donne un point final narratif à l'album). Évidemment, cette apparente facilité cache une fausse simplicité : ces deux-là savent très bien ce qu'ils font et donner vie à leurs transes via la musique est comme une seconde nature. Eihwar n'est pas cérébral mais parle aux tripes, si possible à grands coups d'acier (qui reste le meilleur langage quand il est question de viscères) : les chuchotements et vociférations primitives posent un climat mystique (Geri and Freki) avant de fédérer autour d'hymnes percutants. L'ambiance générale, derrière la grosse fiesta cyber-pagan est à la fois martiale, hallucinée et poétique.
Évidemment qu'Eihwar est fait pour cartonner. Il y a quelque chose d'universel et d'instinctif dans ces pulsations électroniques qui viennent se heurter à des mythes ancestraux. Le concept est solide, soutenu par des personnages fictifs qui donnent vie à une histoire, et suffisamment simple pour accrocher immédiatement son public mais aussi assez abouti pour plaire au-delà de la découverte initiale. Bref : des clichés dans l'air du temps brassés avec énergie et sur lesquels soufflent un vent de fraîcheur très amusant. Les puristes vont probablement sortir leurs fourches... Mais dans sa démarche quasi enfantine, Eihwar s'en fiche pas mal : si vous préférez bouder dans votre coin plutôt que de rejoindre la fête, ça vous regarde, eux dansent dans le sang de leurs ennemis terrassés et nul esprit chagrin ne saura gâcher leur enthousiasme.