Elvin Road prend son temps : le projet d'Antoine Saison ne sort des ombres que sporadiquement, quand vient l'automne, le temps d'un single célébrant le retour de la nuit ou, plus rarement un format plus long. Six ans séparent Fade to Dark d'Unrated, quatrième album d'une carrière de presque vingt ans. L'automne ? La nuit ? Les citrouilles ? Ce n'est pas flagrant à la vue de l'artwork... décidément, le réchauffement climatique est passé par là !
Laissons de côté les considérations météorologiques : Elvin Road est un projet profondément inspiré par le cinéma et plus particulièrement l'imaginaire hollywoodien. En cela rien n'a changé et l'alliance des guitares et des synthétiseurs est toujours hantée par un sentiment de nostalgie trouvant sa source dans les années 80 et 90. L'évolution d'Elvin Road s'apprécie cependant dès les premiers instants avec cette nouvelle version de Death by Stereo. Les synthés inquiétants du single sorti il y a trois ans sont plus discrets alors que les guitares, elles, occupent l'espace. Le riffing, carré, rentre-dedans, évoque l'efficacité de John Carpenter, maître du minimalisme qui fait mouche. Avec Unrated, Elvin Road muscle son propos et alourdit sacrément sa musique : les touches darksynth à la Carpenter Brut de Barricade Part II Wokicide, mélangées toujours à ces guitares acérées, sont des plus satisfaisantes alors que Haunted Hertz, bizarrement, avec ses changements de rythme imprévisibles, nous évoque autant les références précédentes que Rosetta Stoned de Tool ! Plus étrange, Tormento dégage une espèce de folie avec son beat accrocheur, ses cordes répétées jusqu'à l'aliénation, des tendances breakcore / IDM et sa fin abrupte : le road-trip d'Elvin Road prend une tournure hallucinée et s'aventure vers des contrées plus tortueuses sans pour autant nous perdre en route.
Certes les guitares hululent et roulent des mécaniques, mais Elvin Road n'a pas non plus oublié sa mélancolie qui s'exprime très rapidement avec le single Every Bodies, seul morceau chanté de l'album. L'invitation au voyage passe aussi par l'introspection méditative. C'est cependant quand Unrated s'aventure sur des terrains plus nocturnes et mystérieux qu'il nous séduit le plus, évoquant errance sans but et ruelles sombres. Midnight Bvd ou la très belle Criminal Distance d'où quelques cuivres fantomatiques s'extirpent, comme perdus dans la brume des nappes de synthés, sont de beaux exemples d'ambiance délectable entre le film noir et David Lynch. Comme d'habitude, la production est impeccable, chaque élément est à sa place et le son est limpide comme un ciel dégagé.
On parlait plus haut de minimalisme, le terme est peut-être un peu fort pour Unrated qui regorge d'idées. L'album est cependant aussi d'une sobriété modeste, respectueux de cette efficacité à la John Carpenter que nous mentionnions : rien ne dépasse, pas d’esbroufe, Elvin Road va à l'essentiel et ne s'éparpille pas au sein de morceaux relativement courts qui ne dévient pas de leurs trajectoires. C'est sur la durée que l'album doit alors s'apprécier, sa continuité proposant une succession de tableaux et d'émotions qui, loin d'être morcelés, tissent un ensemble élégant et subtil sentant bon les grands espaces, le vent dans les cheveux, le pop-corn, la nuit, les spectres, la nostalgie, la liberté mais surtout la poésie que l'on peut trouver aussi bien dans tout ça que dans les reflets d'une carlingue ou une coupe mulet mâchant du chewing-gum.