ERSHETU, projet de black metal progressif fondé en 2021 par Void (parolier et créateur du concept) et Sacr (compositeur), sort son deuxième album, Yomi (littéralement "Terre des ténèbres" faisant référence à la vie après la mort dans la mythologie shintoïste) le 8 novembre 2024. Si Intza Roca reste fidèle à la batterie pour cadencer ce conte sombrement mystique, le chant du norvégien Lars Are Nedland (que l'on peut entendre notamment chez Solefald ou encore Borknagar) présent sur leur précédent opus Xibalba, qui lui s'inspirait du folklore maya, laisse place cette fois au chant de Vindsval (Blut Aus Nord) ramenant ainsi un univers tout autre, plus spontané, angoissé et mystérieux.
Le black metal peut garder son essence tout en prenant plusieurs formes, et ce qui est très appréciable lorsque l'on écoute ERSHETU c'est que l'on retrouve cette enveloppe de ténèbres si essentielle, celle que l'on recherche tant, cependant à la fois surgit la surprise à chaque écoute. La surprise de retrouver des sons de guitares saturées, de batterie énervées ou de basses accablées mélangés à un instrument que l'on connait peu (comme le Koto, un instrument à cordes pincées utilisé en musique japonaise traditionnelle et comme instrument d'accompagnement dans les arts traditionnels japonais), le Shamisen (une guitare à trois cordes), ou le Shakuhachi (une flute japonaise faite généralement de bambou) et qui nous plonge instinctivement au sein de ténèbres presque familières mais qui empruntent un chemin inconnu pour nous parvenir, vacillant parmi des contrées dépaysantes nous éloignant de nos propres certitudes vers une certaine contention d'esprit. La surprise d'un concept plus étranger à notre culture qu'il n'y parait : le royaume des morts, dans la mythologie shintoïste se situe sous terre car c'est là que se réuniraient les âmes des défunts. Pas d'enfer, de paradis (le ciel est pour les Dieux), de récompense, ou de punition. Il s'agit simplement de l'allégorie de la décomposition des corps, alliée à l'idée de la rémanence de l'âme après la mort. La surprise aussi, d'une légèreté poétique dans la composition et la construction des morceaux.
Parce que oui, on les entend ces âmes, cette tension qui s'accumule, la peur de l'inconnu, l'angoisse du vide qui oscille puis bascule vers une certaine légèreté, celle d'une entité libérée qui devient l'esquisse d'un fantôme qui garde comme seule tristesse la séparation avec le monde du vivant et les êtres aimés, ceux qu'il faut maintenant aider. Vindsval nous livre un chant qui se fond complétement avec l'atmosphère, l'épaissit autant qu'il l'attendrit et nous entraine entre désespoir et douceur tout au long de cette expérience spirituelle, qui interpelle et interroge autant qu'elle rassure aussi simplement par son existence en tant qu'oeuvre d'art et objet de réflexions. Sekiryō reste l'un des plus beau morceaux de l'album et montre tout le talent d'ERSHETU dans son équilibre, sa progression et sa musicalité. Cependant l'envoutante et sépulcrale Kagutsuchi, ou encore Ketsurui, semblable à une incantation venue d'un autre monde, nous restera également longtemps en mémoire. Le groupe avec Yomi signe là l'un des album les plus intéressant, inventif et surprenant de l'année, si bien qu'il nous tarde de voir quel autre spectre de la mort sera dessiné lors de ses futures créations.