Chronique | Fátima - EERIE

Franck irle 2 septembre 2024

Depuis trois albums, et en tant qu'archéologue sonore, la matière dans laquelle Fátima s'est embourbée ne s'est pas asséchée, elle s'est même épaissie. Pour rentrer dans ce dédale de monstruosités, têtes de biais, reptiles géants à la bave visqueuse, il vous faut être transporté dans un ascenseur spirituel, qui vous conduira au seuil d'un trip quasi mystique. Un demi-tour est souvent envisageable mais pas impossible, à vos risques et périls. 

Violence cérébrale et musique d'outre-tombe.

Poisons vaporisés sur des toisons de myrrhe, mille sorcières versant le venin des vipères, l'ambiance est plantée, la cérémonie peut commencer. De suite, on reconnait la patte du trio, mais la production a quelque chose de plus renfermé. On évitera le fameux «retour aux sources». Les premiers arpèges sonnent exactement comme la pub d'une marque d'un bain moussant dont j'éviterais de citer la référence, peut-être l'écume secrète d'une substance lysergique ?

Par principe chaque œuvre n'affirme qu'elle même et non une précédente. J'entends par là, qu'il n'y a donc pas de continuité. Antmill est reconnaissable entre mille (pardon pour cette incartade) riffs grunge implacables , rythmique éléphantesque. On retrouve la Ravish Sitar Pedal sur Miracle of The Sun dont l'utilisation délicate et instable, trouve ici son équilibre, ainsi ressortent les inflexions orientales dont le groupe revendique les étoffes couleur sanguine des divinités invoquées dont la vierge cosmique est le personnage central. La voix de Antoine Villetti est toujours aussi fascinante, elle semble émaner d'un volcan où le souffre rend le timbre rugueux, on y respire des parfums capiteux. Il y a certes une certaine redondance sonore avant que Cyclops Cave vienne contraster avec les titres antérieurs, toutefois on regrettera que la basse sur le riff final, soit légèrement trop en avant, noyée dans cette marmite dont Fátima a le secret, le prisme sonore s'en trouve rabougri. 

Digne successeur de son frère Fossil, Eerie conduit l'auditeur dans un canal plus réduit, dans une sorte d'entonnoir au cœur de l'étrange, est-ce l'intention même de Fátima ? Mosul Orb est certainement la corrélation de phénomènes inhabituels, ressentis lors des sessions d'enregistrement, le titre le plus obsédant de ce disque, ou devrais-je dire alboom pour respecter l'essence musicale de Fátima, le genre de titre qui devient urticant, sans jamais être désagréable, ça vous démange ? 

Ainsi l'album débute réellement à partir des 3 derniers titres. Three Eyed Enoch vous ouvre la voie céleste, ou devrais-je dire la cavité cryptique de Dieux défigurés. Justement, Fátima ne fait jamais dans le pompeux et le boursouflé. Chaque composition a cette particularité, ni prog ni exagérée. Soulignons le jeu rythmique de JC à la batterie, atypique.

L'abîme se rapproche et le temps aiguise son fer sur les ossements des fossiles, voici que des brins d'herbes percent le sol comme des milliers d'épées, transpercés de toutes part de rayons radioactifs, de morsures, Fátima conclut avec Blue Aliens Wear Wigs marqué au fer rouge, incandescent. Toujours le cri lugubre de l'agonie précédera le tranchant du jour. Fátima se propulse dans le feu des comètes, et mérite enfin d'être admis parmi les formations monolithiques les plus abouties. Comme l'écho répète tous les bruits qui le frappent, ainsi que la mer reflète les cieux et les abîmes, Fátima dissipe les brumes du passé.