Depuis les années 2000, GARY NUMAN semble vivre une deuxième carrière (oserait-on aller jusqu'à dire que c'est un nouvel homme ?) : après avoir été un pionnier de la new-wave et inspiré toute une frange de la scène industrielle, il s'est à son tour tourné vers des sonorités plus dures, s'inscrivant dans la droite lignée du NINE INCH NAILS période The Fragile (il a d'ailleurs collaboré avec Trent Reznor à cette époque). Une renaissance glorieuse puisqu'on peut dire aujourd'hui que GARY NUMAN continue encore de progresser, d'évoluer. C'était en tout cas vrai à l'époque de son dernier album, le magistral Splinter (Songs From a Broken Mind) auquel doit succéder Savage. La tâche est ardue, mais à la portée du britannique.
Alors que son illustre prédécesseur entrait directement dans le vif du sujet avec un I Am Dust mémorable, Savage démarre plus calmement : Ghost Nation propose une montée en tension, tout en retenue et en atmosphère. Savage parle d'un monde post-apocalyptique, ravagé par une catastrophe écologique et dans lequel l'Occident a fini par fusionner avec l'Orient. Il en résulte dès les premières secondes une ambiance mélancolique, hantée, inquiétante. De son élégante voix androgyne à l'accent british prononcé qui nous consolerait presque de la mort de Bowie, Numan se montre toujours aussi hypnotique. Bed of Thorns prolonge ce début mid-tempo et emprunt de mélancolie avant que les premiers beats du hit My Name Is Ruin n'apportent un peu d'âpreté à ce début d'album très sage. Avec ses mélodies orientales, la voix de sa fille qui assure les choeurs et son refrain imparable, My Name is Ruin est l'hymne ultime et addictif qui porte l'album. C'est d'ailleurs un des rares moments où le rythme s'accélère (avec When the World Comes Apart et Pray for the Pain You Serve, autres pics de tension de l'album). Dans l'univers dystopique que nous propose Savage, la désolation suinte de chaque titre, tous atteint d'une certaine langueur à la fois déprimante et séduisante. GARY NUMAN n'a pas son pareil pour mélanger des sonorités très pop à d'autres bien plus dures et y laisser infuser ses paroles sombres et pessimistes. Sur Broken, soutenu par des nappes fantômatiques, il prophétise "If you had seen / All the things that I've seen / You'd scream like I screamed" (si tu avais vu tout ce que j'ai vu, tu crierais comme je crie), explicitant la fin d'un monde dont l'état actuel le dégoûte et confirmant qu'il n'a rien perdu de sa misanthropie.
À la fin de Savage, ce qu'on en retient c'est surtout cette mélancolie : c'est un album hanté par la voix angoissée et les synthés plombants de son auteur. C'est un disque sombre et hypnotique, aux compositions soignées et subtiles. Le choc n'est peut-être pas le même qu'avec Splinter, puisqu'on est dans la lignée de ce dernier, mais Savage se démarque tout de même avec la nostalgie et l'amertume qu'il dégage. Et, après bientôt 40 ans de carrière, GARY NUMAN continue d'être pertinent, voire indispensable.