C'est avec grand plaisir que l'on voit arriver ce sixième album de GRAUSAME TÖCHTER : actif depuis 2009, le groupe mené par la chanteuse Aranea Peel n'a jamais manqué l'occasion de nous ravir par sa darkwave jouissivement dévergondée. Le groupe s'est créé son style, son univers centré sur l'obsession sexuelle de sa chanteuse et les perversions en tout genre, et voit même se développer un petit écosystème autour de lui au sein du label Dark Dimension avec ses amies de BETON BRAUT et TWINS IN FEAR (chronique) ! Ce n'est pas sans se lécher les babines qu'on insère le disque dans le lecteur.
On comprend dès les premières minutes que Zyklus sera à la hauteur de nos attentes tout en étant très différent de ce à quoi l'on s'attendait : le morceau d'introduction Alpha nous surprend par son usage du violoncelle tandis que Aranea semble divaguer, un peu d'électronique complétant le morceau... On sent venir l'explosion de folie d'un instant à l'autre. Il est vrai qu'il y a toujours eu une touche néoclassique chez GRAUSAME TÖCHTER mais c'est bien la première fois qu'elle prend tant d'ampleur ! Lorsque l'on entre dans le vif du sujet avec Wilde Wölfe, nous sommes une fois de plus désarçonnés : on passe sans transition à une EBM très dure et froide, reposant sur des sonorités électroniques martelées, jusqu'à ce que surgissent brusquement des chœurs entêtants pour donner plus d'ampleur au morceau !
Et c'est en effet cela qui constitue le plat de résistance de l'album. Comme d'habitude avec GRAUSAME TÖCHTER, Zyklus mêle les rythmes violents de l'EBM à une large palette de sonorités électroniques, à la présence de la guitare et de la batterie, plus discrètes que sur le disque précédent Engel Im Rausch (chronique) mais aussi à des instruments classiques, en l'occurrence deux violons, un violoncelle et un piano ; cette fois, cependant, l'album se distingue par une musique plus sèche et plus tendue que sur les albums précédents, tout en offrant une place inédite aux instruments classiques ! Nous voilà très loin des délires psychédéliques de Engel Im Rausch, même si on les retrouve brièvement le temps de la ballade Respekt Und Sex -qui n'est toutefois pas l'un des morceaux les plus réussis du disque. D'une manière générale, Zyklus est un album plus resserré que les précédents, cela se sent non seulement dans son instrumentation mais aussi dans sa longueur, puisqu'il dure un peu plus d'une heure, ce qui est relativement peu par rapport à ses prédécesseurs. Les structures des morceaux, enfin, s'avèrent également moins expérimentales que celles de l'album précédent, construites sur des montées en puissance par cycles, justement.
Tout cela s'avère rudement efficace ! L'album nous frappe avec ses rythmes nerveux, nous entraîne avec le chant véhément d'Aranea et des chœurs merveilleusement entêtants, nous charme avec l'irruption du violoncelle et des violons ; l'ensemble est à la fois dansant et théâtral, d'une manière plus enjouée qu'un DAS ICH. On retient particulièrement PENG! PENG! TOT! (c'est à dire BANG! BANG! MORT! -oui, c'est joyeusement débile) où le décalage entre les couplets et le refrain fait mouche, Klinik pour ses chœurs délirants, Wie Ein Hamster pour son électronique extravagante, Wilde Wölfe pour sa brutalité. Comme souvent avec GRAUSAME TÖCHTER, les tubes marquent davantage que l'atmosphère globale de l'album, un peu inégale et pas tout à fait cohérente, la deuxième partie du disque étant beaucoup moins sobre que la première, mais ce défaut est moins gênant sur un disque plus court.
Encore que ! Pour les plus acharnés d'entre nous, rien n'oblige à considérer que Zyklus s'arrête à Omega : l'album existe dans une édition comprenant une deuxième partie, mais celle-ci n'a rien à voir avec la première ; le second disque, qui est un court album à lui seul, nous fait quitter les rivages de l'électronique pour adapter pas moins de dix chansons classiques allemandes, qui sont pour les unes des œuvres de FRIEDRICH HOLLAENDER et pour les autres des textes du dramaturge Bertolt Brecht mis en musique par KURT WEILL et HANNS EISLER. Sur une instrumentation classique arrangée par Hans-Jürgen Osmers, le pianiste du groupe, on entend ainsi Aranea Peel reprendre les chansons dans une version sombre et avide... Cela ne manque pas d'intérêt non plus ; Vom Ertrunkenen Mädchen (en français La Fille Noyée) où Aranea chante avec une noire théâtralité le lugubre poème de Bertolt Brecht, notamment, s'avère très réussie.
C'est donc un véritable double-album que nous a offert GRAUSAME TÖCHTER, que nous aurons suivi avec délice dans toutes ses excentricités, des rythmes implacables aux morceaux classiques savamment pervertis ; voilà un défoulement dont nous avions bien besoin !